Page:Hugo - Actes et paroles - volume 6.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

levard Magenta et forme une sorte de place irrégulière avec terre-plein planté d’arbres. La foule s’est réfugiée là.

« À midi précis, le corbillard quittait la maison mortuaire. Le fils de Frédérick a prié Victor Hugo, qui arrivait en ce moment, de vouloir bien tenir un des cordons du char funèbre. « De tout mon cœur », a répondu Victor Hugo. Et il a tenu l’un des cordons jusqu’à l’église, avec MM. Taylor, Halanzier, Dumaine, Febvre et Laferrière.

« Le service religieux s’est prolongé jusqu’à une heure et demie. Faure a rendu ce dernier hommage à son camarade mort, d’interpréter le Requiem devant son cercueil, avec cette ampleur de voix et cette sûreté de style qui font de lui l’un des premiers chanteurs de l’Europe. Bosquin et Menu ont ensuite chanté, l’un le Pie Jesu, et l’autre l’Agnus Dei.

« À deux heures moins un quart, le char se mettait en marche avec difficulté au milieu des flots profonds de la foule. Les maisons étaient garnies jusque sur les toits, et cela tout le long de la route. La circulation des voitures s’arrêtait jusqu’au boulevard Magenta. Des deux côtés de la chaussée, une haie compacte sur cinq ou six rangs.

« Le cortège est arrivé à deux heures et demie, par le boulevard Magenta et les boulevards Rochechouart et Clichy, au cimetière Montmartre. Une foule nouvelle attendait là.

« Frédérick devait être inhumé dans le caveau où l’avait précédé son fils, le malheureux Charles Lemaître, qui s’est, comme on sait, précipité d’une fenêtre dans un accès de fièvre chaude. Les abords de la tombe étaient gardés depuis deux heures par plusieurs centaines de personnes. Les agents du cimetière et un officier de paix suivi de gardiens ont eu toutes les peines du monde à faire ouvrir un passage au corps.

« Au sortir de l’église, M. Frédérick-Lemaître fils avait prié encore Victor Hugo de dire quelques paroles sur la tombe de son père ; et Victor Hugo, quoique pris à l’improviste, n’avait pas voulu refuser de rendre ce suprême hommage au magnifique créateur du rôle de Ruy Blas.

« Il a donc pris le premier la parole, et prononcé, d’une voix émue, mais nette et forte, l’adieu que voici :

On me demande de dire un mot. Je ne m’attendais pas à l’honneur qu’on me fait de désirer ma parole ; je suis bien ému pour parler : j’essayerai pourtant.