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POUR UN SOLDAT.

chain avenir, un nouveau code militaire, plus efficace que l’ancien.

La peine morale substituée à la peine matérielle est plus terrible. Preuve : Bazaine.

Oui, la dégradation suffit. Où la honte coule, le sang versé est inutile. La punition assaisonnée de cette hautaine clémence est plus redoutable. Laissez cet homme à son abîme. C’est toujours la sombre et grande histoire de Caïn. Bazaine mis à mort laisse derrière lui une légende ; Bazaine vivant traîne la nuit.

Donc le conseil de guerre a bien fait.

Qu’ajouter maintenant ?

Le maréchal disparaît, voici un soldat.

Nous avons devant les yeux, non plus le haut dignitaire, non plus le grand-croix de la légion d’honneur, non plus le sénateur de l’empire, non plus le général d’armée ; mais un paysan. Non plus le vieux chef plein d’aventures et d’années ; mais un jeune homme. Non plus l’expérience, mais l’ignorance.

Ayant épargné celui-ci, allez-vous frapper celui-là ?

De tels contrastes sont-ils possibles ? Est-il utile de proposer à l’intelligence des hommes de telles énigmes ?

Ce rapprochement n’est-il pas effrayant ? Est-il bon de contraindre la profonde honnêteté du peuple à des confrontations de cette nature : avoir vendu son drapeau, avoir livré son armée, avoir trahi son pays, la vie ; avoir souffleté son caporal, la mort !

La société n’est pas vide ; il y a quelqu’un ; il y a des ministres, il y a un gouvernement, il y a une assemblée, et, au-dessus des ministres, au-dessus du gouvernement, au-dessus de l’assemblée, au-dessus de tout, il y a la droiture publique ; c’est à cela que je m’adresse.

L’impôt du sang payé à outrance, c’était la loi des régimes anciens ; ce ne peut être la loi de la civilisation nouvelle. Autrefois, la chaumière était sans défense, les larmes des mères et des fiancées ne comptaient pas, les veuves san-