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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

son développement progressif. Il n’admettait pas l’idée des séparations absolues, définitives. Victor Hugo ne l’admet pas, lui non plus, cette idée redoutable. Il croit à Dieu éternel, il croit à l’âme immortelle. C’est là ce qui le rendra capable, tout meurtri qu’il est, de vivre pour son autre famille, celle à qui appartient la vie des grands hommes, l’humanité. (Applaudissements prolongés.)

Après ce discours, d’une éloquence si forte et si émue, et qui a profondément touché toute cette grande foule, Victor Hugo a embrassé Louis Blanc ; puis ses amis l’ont enlevé de la fosse. Alors ç’a été à qui se précipiterait vers lui et lui prendrait la main. Amis connus ou inconnus, hommes, femmes, tous se pressaient sur son passage ; on voyait là quel cœur est celui de ce peuple de Paris, si reconnaissant à ceux qui l’aiment ; les femmes pleuraient ; et tout à coup le sentiment de tous a éclaté dans l’explosion de ce cri prolongé et répété : Vive Victor Hugo ! Vive la république !

Victor Hugo a pu enfin monter en voiture, avec Louis Blanc. Mais pendant longtemps encore la voiture n’a pu aller qu’au pas, à cause de la foule, et les mains continuaient à se tendre par la portière. Louis Blanc avait sa part de ces touchantes manifestations.

Et, en revenant, nous nous redisions la strophe des Feuilles d’automne :

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
Mes parents, mes amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur, l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !

Dieu n’a pas exaucé le poëte. Les oiseaux sont envolés, la maison est vide. Mais Louis Blanc a raison, il reste au malheureux père encore une famille. Il l’a vue aujourd’hui, elle l’a accompagné et soutenu, elle a pleuré avec lui. Et, s’il n’y a pas de consolations à de telles douleurs, c’est un adoucissement pourtant que de sentir autour de soi tant de respect affectueux et cette admiration universelle.

Malgré l’énormité de la foule, il n’y a pas eu le moindre désordre, ni le moindre accident. Cette manifestation imposante s’est faite avec une gravité et une tranquillité profondes.

Il est impossible d’énumérer tous les noms connus des écrivains,