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MORT DE FRANÇOIS-VICTOR HUGO.

Et la république ! Elle a aussi le droit de porter son deuil. Car ce fut au signal donné par elle qu’il accourut avec son père et son frère, — d’autant plus impatients de venir s’enfermer dans la capitale, qu’il y avait là, en ce moment, d’affreuses privations à subir et le péril à braver. On sait avec quelle fermeté ils traversèrent les horreurs d’un siége qui sera l’éternelle gloire de ce grand peuple de Paris.

Mais d’autres épreuves les attendaient. Bientôt, l’auteur de l’Année terrible eut à pleurer la mort d’un de ses fils et à trembler pour la vie de l’autre. Pendant seize mois, François-Victor Hugo a été torturé par la maladie qui nous l’enlève. Entouré par l’affection paternelle de soins assidus, disputé à la mort chaque jour, à chaque heure, par un ange de dévouement, la veuve de son frère, son énergie secondait si bien leurs efforts, qu’il aurait été sauvé s’il avait pu l’être.

Sa tranquillité était si constante, sa sérénité avait quelque chose de si indomptable, que, malgré l’empreinte de la mort, depuis longtemps marquée sur son visage, nous nous prenions quelquefois à espérer…

Espérait-il lui-même, lorsqu’il nous parlait de l’avenir, et qu’il s’efforçait de sourire ? Ou bien voulait-il, par une inspiration digne de son âme, nous donner des illusions qu’il n’avait pas, et tromper nos inquiétudes ? Ce qui est certain, c’est que, pendant toute une année, il a, selon le mot de Montaigne, « vécu de la mort », jusqu’au moment où, toujours calme, il s’est endormi pour la dernière fois, laissant après lui ce qui ne meurt pas, le souvenir et l’exemple du devoir accompli.

Quant au vieillard illustre que tant de malheurs accablent, il lui reste, pour l’aider à porter jusqu’à la fin le poids des jours, la conviction qu’il a si bien formulée dans ces beaux vers :

C’est un prolongement sublime que la tombe.
On y monte, étonné d’avoir cru qu’on y tombe.

Dans la dernière lettre que j’ai reçue de lui, qui fut la dernière écrite par lui, Barbès me disait : « Je vais mourir, et toi tu vas avoir de moins un ami sur la terre. Je voudrais que le système de Reynaud fût vrai, pour qu’il nous fût donné de nous revoir ailleurs. »

Nous revoir ailleurs ! De l’espoir que ces mots expriment venait la foi de Barbès dans la permanence de l’être, dans la continuité de