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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

L’amour de la justice, voilà ce qui remuait dans ses plus intimes profondeurs cette âme généreuse, vaillante et tendre.

Il est des hommes à qui l’occasion manque pour montrer dans ce qu’ils ont fait ce qu’ils ont été. Cela ne peut pas se dire de François-Victor Hugo. Ses actes le définissent. Une invocation généreuse au génie hospitalier de la France lui valut neuf mois de prison avant le 2 décembre ; après le 2 décembre, il a eu dix-huit années d’exil, et, dans sa dernière partie, d’exil volontaire…

Volontaire ? je me trompe !

Danton disait : « On n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers. » Mais c’est parce qu’on l’emporte au fond de son cœur que l’exil a tant d’amertume. Oh ! non, il n’y a pas d’exil volontaire. L’exil est toujours forcé ; il l’est surtout quand il est prescrit par la seule autorité qui ait un droit absolu de commandement sur les âmes fières, c’est-à-dire la conscience. (Applaudissements.)

François-Victor aimait la France, comme son père ; comme son père, il l’a quittée le jour où elle cessa d’être libre, et, comme lui, ce fut en la servant qu’il acquit la force de vivre loin d’elle. Je dis en la servant, parce que, suivant une belle remarque de Victor Hugo, traduire un poëte étranger, c’est accroître la poésie nationale. Et quel poëte que celui que François-Victor Hugo entreprit de faire connaître à la France !

Pour y réussir pleinement, il fallait pouvoir transporter dans notre langue, sans offenser la pruderie de notre goût, tout ce que le style de Shakespeare a de hardi dans sa vigueur, d’étrange dans sa sublimité ; il fallait pouvoir découvrir et dévoiler les procédés de ce merveilleux esprit, montrer l’étonnante originalité de ses imitations, indiquer les sources où il puisa tant de choses devenues si complètement siennes ; étudier, comparer, juger ses nombreux commentateurs ; en un mot, il fallait pouvoir prendre la mesure de ce génie universel. Eh bien, c’est cet effrayant labeur que François-Victor Hugo, que le fils de notre Shakespeare à nous… (Applaudissements) aborda et sut terminer à un âge où la plupart des hommes, dans sa situation, ne s’occupent que de leurs plaisirs. Les trente-six introductions aux trente-six drames de Shakespeare suffiraient pour lui donner une place parmi les hommes littéraires les plus distingués de notre temps.

Elles disent assez, à part même le mérite de sa traduction, la meilleure qui existe, quelle perte le monde des lettres et le monde de la science ont faite en le perdant.