Page:Hugo - Actes et paroles - volume 5.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
LES CHÂTIMENTS.

Mais comment l’offrir ce canon ? Avec quoi faire le bronze ou l’acier qui nous manquait ?

Il y avait un livre qu’on n’avait publié sous l’empire qu’en se cachant et en le dérobant à l’œil de la police ; livre patriotique qu’on se passait sous le manteau, comme s’il se fût agi d’un livre malsain ; livre superbe qui, au lendemain de décembre, à l’heure où Paris était écrasé, où les faubourgs étaient muets, où les paysans étaient satisfaits, protestait contre le succès, protestait contre l’usurpation, protestait contre le crime, et, au nom de la conscience humaine étouffée, prononçait, dès 1851, le mot de l’avenir et le mot de l’histoire : châtiment !

Il y avait un homme qui, depuis tantôt vingt ans, représentait le volontaire exil, la négation de l’empire, la revendication du droit proscrit, un homme qui, après avoir chanté les roses et les enfants, plein d’amour, s’était tout à coup senti plein de courroux et plein de haine, un homme qui, parlant de l’homme de Décembre, avait dit :

Oui, tant qu’il sera là, qu’on cède ou qu’on persiste,
Ô France ! France aimée et qu’on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !

Je ne reverrai pas la rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j’oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente ;
Je resterai proscrit, voulant rester debout.

J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.

Si l’on n’est plus que mille, eh bien j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

C’est à ce livre qui avait deviné l’avenir, et à ce poëte qui, fidèle à l’exil, a loyalement tenu le serment juré, que nous voulions demander, nous, Société des gens de lettres, de nous aider dans notre œuvre. Victor Hugo est notre président honoraire. Voici la lettre que lui adressa notre comité :

L’orateur lit la lettre du comité et la réponse de Victor Hugo (voir plus haut), et reprend :