Page:Hugo - Actes et paroles - volume 5.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
PARIS ET ROME.

être Talleyrand, et un banc de généraux dont a été Bazaine. Elle a vu le premier empire commencer par l’illusion d’Austerlitz, et le deuxième empire s’achever par le réveil du démembrement. Elle a possédé Fialin, Vieillard, Pélissier, Saint-Arnaud, Dupin. Aucune illustration ne lui a été épargnée. Elle a assisté à des glorifications inouïes, à la célébration de Puebla, à l’hosanna de Sadowa, à l’apothéose de Mentana. Elle a entendu des personnages compétents affirmer qu’on sauvait la société, la famille et la religion en mitraillant les promeneurs sur le boulevard. Elle a eu tel homme que la légion d’honneur n’a plus. Elle a, pour nous borner au dernier empire, été, pendant dix-neuf ans, illuminée par la pléiade de toutes les hontes ; elle a entendu une sorte de long cantique, psalmodié par les dévots athées aussi bien que par les dévots catholiques, en l’honneur du parjure, du guet-apens et de la trahison ; pas une lâcheté ne lui a manqué ; pas une platitude ne lui a fait défaut ; elle a eu l’inviolabilité officielle ; elle a été si parfaitement auguste qu’elle en a profité pour être complètement immonde ; elle a entendu on ne sait qui confier l’épée de la France à un aventurier pour on ne sait quoi, qui était Sedan ; cette tribune a eu un tressaillement de gloire et de joie à l’approche des catastrophes ; ce morceau de bois d’acajou a été quelque chose comme le proche parent du trône impérial, qui du reste, on le sait, et l’on a l’aveu de Napoléon, n’était que sapin ; les autres tribunes sont faites pour parler, celle-ci avait été faite pour être muette ; car c’est être muet que de taire au peuple le devoir, le droit, l’honneur, l’équité. Eh bien ! un jour est venu où cette tribune a brusquement pris la parole, pour dire quoi ? La réalité.

Oui, et c’est là une de ces surprises que nous fait la logique profonde des événements, un jour on s’est aperçu que cette tribune, successivement occupée par toutes les corruptions adorant l’iniquité et par toutes les complicités soutenant le crime, était faite pour que la justice montât