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NOTES.

NOTE IV.

Le soir du 8 mars, à une députation de citoyens de Bordeaux venant le prier de retirer sa démission, M. Victor Hugo a dit :

Je ne juge pas cette Assemblée, je la constate. Je me sens même indulgent pour elle. Elle est comme un enfant mal venu. Elle est le produit de la France mutilée. Elle m’afflige et m’attendrit comme un nouveau-né infirme. Elle se croit issue du suffrage universel. Or le suffrage universel qui l’a nommée était séparé de Paris. Sans Paris, il n’y a pas de lumière sur le suffrage universel, et le vote reste obscur. Électeur ignorant, élu quelconque. C’est le malheur du moment. L’Assemblée en est plus victime que coupable. Tout en souhaitant qu’elle disparaisse vite, je lui suis bienveillant. Plus elle m’a insulté, plus je lui pardonne.

Ceci est la quatrième Assemblée dont je fais partie. J’ai donc l’habitude de la lutte parlementaire. On m’a interrompu, cela me serait bien égal. L’Assemblée ne me connaît point, mais vous me connaissez, vous, et vous ne vous y méprenez pas. Je suis pour la liberté de la tribune, et je suis pour la liberté de l’interruption. D’abord, l’interruption est une liberté ; cela suffit pour qu’elle me plaise. Ensuite l’interruption aide l’improvisation ; elle suggère à l’orateur l’inattendu. Je fais donc plus que d’absoudre l’interruption, je l’aime ; à une condition, c’est qu’elle sera passionnée, c’est-à-dire loyale. Je ne lui demande pas d’être polie, je lui demande d’être honnête. Un jour un interrupteur m’a reproché l’argent que coûterait mon discours : Et dire que ce discours coûtera vingt-cinq francs à la France ! il était de bonne foi, j’ai souri. Un autre jour, le 17 juin 1851, je dénonçais le complot qui a éclaté en décembre, et je déclarais que le président de la république conspirait contre la république ; on m’a crié : Vous êtes un infâme calomniateur ! C’était vif ; cette fois encore, j’ai souri. Pourquoi ? c’est que l’interrupteur était simplement un imbécile. Or, être un imbécile, c’est un droit ; bien des gens en usent.

Je n’interromps jamais, mais j’aime qu’on m’interrompe.