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DEPUIS L’EXIL. — BRUXELLES.

s’éveillant et travaillant de bonne heure, a pour habitude de ne point baisser les persiennes de la fenêtre.

« Il était minuit un quart, il venait de souffler sa bougie et il allait s’endormir. Tout à coup un coup de sonnette se fait entendre. M. Victor Hugo, réveillé à demi, écoute, croit à une erreur d’un passant et se recouche. Nouveau coup de sonnette, plus fort que le premier. M. Victor Hugo se lève, passe une robe de chambre, va à la fenêtre, l’ouvre et demande : Qui est là ? Une voix répond : Dombrowski. M. Victor Hugo, encore presque endormi, et ne distinguant rien dans les ténèbres, songe à l’asile offert par lui le matin même aux fugitifs, pense qu’il est possible que Dombrowski n’ait pas été fusillé et vienne en effet lui demander un asile, et se retourne pour descendre et ouvrir sa porte. En ce moment, une grosse pierre, assez mal dirigée, vient frapper la muraille à côté de la fenêtre. M. Victor Hugo comprend alors, se penche à la fenêtre ouverte, et aperçoit une foule d’hommes, une cinquantaine au moins, rangés devant sa maison et adossés à la grille du square. Il élève la voix et dit à cette foule : Vous êtes des misérables ! Puis il referme la fenêtre. Au moment où il la refermait, un fragment de pavé, qui est encore aujourd’hui dans sa chambre, crève la vitre à un pouce au-dessus de sa tête, y fait un large trou et roule à ses pieds en le couvrant d’éclats de verre, qui, par un hasard étrange, ne l’ont pas blessé. En même temps, dans la bande groupée au-dessous de la fenêtre, ces cris éclatent : À mort Victor Hugo ! À bas Victor Hugo ! À bas Jean Valjean ! À bas lord Clancharlie ! À bas le brigand !

« Cette explosion violente avait réveillé la maison. Deux femmes sorties précipitamment de leurs lits, l’une, la maîtresse de la maison, Mme veuve Charles Hugo, l’autre la bonne des deux petits enfants, Mariette Léclanche, entrent dans la chambre. — Père, qu’y a-t-il ? demande Mme Charles Hugo. Qu’est-ce que cela ? M. Victor Hugo répond : Ce n’est rien ; cela me fait l’effet d’être des assassins. Puis il ajoute : Soyez tranquilles, rentrez dans vos chambres, il est impossible que d’ici à quelques instants une ronde de police ne passe pas, et cette bande prendra la fuite. Et il rentre lui-même, accompagné de Mme Charles Hugo, et suivi de Mariette, dans la nursery, chambre d’enfants contiguë à la sienne, mais située sur l’arrière de la maison, et ayant vue sur le jardin.

« Mariette, cependant, venait de rentrer dans la chambre de son maître, afin de voir ce qui se passait. Elle s’approcha de la fenêtre,