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PARIS ET ROME.

un étouffement de sanglots ; assister à l’écrasement des braves ; voir monter à l’horizon de hideuses fumées, gloire de l’ennemi faite de votre honte ; passer où le carnage vient de passer ; traverser des champs sinistres où l’herbe sera plus épaisse l’année prochaine ; voir se prolonger à perte de vue, à mesure qu’on avance, dans les prés, dans les bois, dans les vallons, dans les collines, cette chose que la France n’aime pas, la fuite ; rencontrer des dispersions farouches de soldats accablés ; puis rentrer dans l’immense ville héroïque qui va subir un monstrueux siége de cinq mois ; retrouver la France, mais gisante et sanglante, revoir Paris, mais affamé et bombardé, certes, c’est là une inexprimable douleur.

C’est l’arrivée des barbares ; eh bien, il y a une autre attaque non moins funeste, c’est l’arrivée des ténèbres.

Si quelque chose est plus lugubre que le piétinement de nos sillons par les talons de la landwehr, c’est l’envahissement du dix-neuvième siècle par le moyen âge. Crescendo outrageant. Après l’empereur, le pape ; après Berlin, Rome.

Après avoir vu triompher le glaive, voir triompher la nuit !

La civilisation, cette lumière, peut être éteinte par deux modes de submersion ; deux invasions lui sont dangereuses, l’invasion des soldats et l’invasion des prêtres.

L’une menace notre mère, la patrie ; l’autre menace notre enfant, l’avenir.

III

Deux inviolabilités sont les deux plus précieux biens d’un peuple civilisé, l’inviolabilité du territoire et l’inviolabilité de la conscience.