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PENDANT L’EXIL. — 1865.

faut une certitude. Quiconque aime sait et sent qu’aucun des points d’appui de l’homme n’est sur la terre ; aimer, c’est vivre au delà de la vie ; sans cette foi, aucun don profond du cœur ne serait possible. Aimer, qui est le but de l’homme, serait son supplice ; ce paradis serait l’enfer. Non ! disons-le bien haut, la créature aimante exige la créature immortelle ; le cœur a besoin de l’âme.

Il y a un cœur dans ce cercueil, et ce cœur est vivant. En ce moment, il écoute mes paroles.

Émily de Putron était le doux orgueil d’une respectable et patriarcale famille. Ses amis et ses proches avaient pour enchantement sa grâce, et pour fête son sourire. Elle était comme une fleur de joie épanouie dans la maison. Depuis le berceau, toutes les tendresses l’environnaient ; elle avait grandi heureuse, et, recevant du bonheur, elle en donnait ; aimée, elle aimait. Elle vient de s’en aller !

Où s’en est-elle allée ? Dans l’ombre ? Non.

C’est nous qui sommes dans l’ombre. Elle, elle est dans l’aurore.

Elle est dans le rayonnement, dans la vérité, dans la réalité, dans la récompense. Ces jeunes mortes qui n’ont fait aucun mal dans la vie sont les bienvenues du tombeau, et leur tête monte doucement hors de la fosse vers une mystérieuse couronne. Émily de Putron est allée chercher là-haut la sérénité suprême, complément des existences innocentes. Elle s’en est allée, jeunesse, vers l’éternité ; beauté, vers l’idéal ; espérance, vers la certitude ; amour, vers l’infini ; perle, vers l’océan ; esprit, vers Dieu.

Va, âme !

Le prodige de ce grand départ céleste qu’on appelle la mort, c’est que ceux qui partent ne s’éloignent point. Ils sont dans un monde de clarté, mais ils assistent, témoins attendris, à notre monde de ténèbres. Ils sont en haut et tout près. Oh ! qui que vous soyez, qui avez vu s’évanouir dans la tombe un être cher, ne vous croyez pas quittés par lui. Il est toujours là. Il est à côté de vous plus que jamais. La beauté de la mort, c’est la présence. Présence inexprimable des âmes aimées, souriant à nos yeux en larmes. L’être pleuré est disparu, non parti. Nous n’aper-