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PENDANT L’EXIL. — 1864.

au comité pour shakespeare
Hauteville-House, 16 avril 1864.
Messieurs,

Il me semble que je rentre en France. C’est y être que de se sentir parmi vous. Vous m’appelez, et mon âme accourt.

En glorifiant Shakespeare, vous, français, vous donnez un admirable exemple. Vous le mettez de plain-pied avec vos illustrations nationales ; vous le faites fraterniser avec Molière que vous lui associez, et avec Voltaire que vous lui ramenez. Au moment où l’Angleterre fait Garibaldi bourgeois de la cité de Londres, vous faites Shakespeare citoyen de la république des lettres françaises. C’est qu’en effet Shakespeare est vôtre. Vous aimez tout dans cet homme ; d’abord ceci, qu’il est un homme ; et vous couronnez en lui le comédien qui a souffert, le philosophe qui a lutté, le poëte qui a vaincu. Vos acclamations honorent dans sa vie la volonté, dans son génie la puissance, dans son art la conscience, dans son théâtre l’humanité.

Vous avez raison, et c’est juste. La civilisation bat des mains autour de cette noble fête.

Vous êtes les poëtes glorifiant la poésie, vous êtes les penseurs glorifiant la philosophie, vous êtes les artistes glorifiant l’art ; vous êtes autre chose encore, vous êtes la France saluant l’Angleterre. C’est la magnanime accolade de la sœur à la sœur, de la nation qui a eu Vincent de Paul à la nation qui a eu Wilberforce, et de Paris où est l’égalité à Londres où est la liberté. De cet embrassement jaillira l’échange. L’une donnera à l’autre ce qu’elle a.

Saluer l’Angleterre dans son grand homme au nom de la France, c’est beau ; vous faites plus encore. Vous dépassez les limites géographiques ; plus de français, plus d’anglais ; vous êtes les frères d’un génie, et vous le fêtez ; vous fêtez ce globe lui-même, vous félicitez la terre qui, à pareil