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GENÈVE ET LA PEINE DE MORT

dans votre seule ville de Genève, vous avez vu deux guillotines dressées en dix-huit mois. En effet, ayant tué Vary, pourquoi ne pas tuer Elcy ? En Espagne, il y a le garrot ; en Russie, la mort par les verges. À Rome, l’église ayant horreur du sang, le condamné est assommé, ammazzato. L’Angleterre, où règne une femme, vient de pendre une femme.

Cela n’empêche pas la vieille pénalité de jeter les hauts cris, de protester qu’on la calomnie, et de faire l’innocente. On jase sur son compte, c’est affreux. Elle a toujours été douce et tendre ; elle fait des lois qui ont l’air sévère, mais elle est incapable de les appliquer. Elle, envoyer Jean Valjean au bagne pour le vol d’un pain ! Allons donc ! il est bien vrai qu’en 1816 elle envoyait aux travaux forcés à perpétuité les émeutiers affamés du département de la Somme ; il est bien vrai qu’en 1846… — Hélas ! ceux qui me reprochent le bagne de Jean Valjean oublient la guillotine de Buzançais.

La faim a toujours été vue de travers par la loi.

Je parlais tout à l’heure de la torture abolie. Eh bien ! en 1849, la torture existait encore. Où ? en Chine ? Non, en Suisse. Dans votre pays, monsieur. En octobre 1849, à Zug, un juge instructeur, voulant faire avouer un vol d’un fromage (vol d’un comestible. Encore la faim !) à une fille appelée Mathilde Wildemberg, lui serra les pouces dans un étau, et, au moyen d’une poulie, et d’une corde attachée à cet étau, fit hisser la misérable jusqu’au plafond. Ainsi suspendue par les pouces, un valet de bourreau la bâtonnait. En 1862, à Guernesey que j’habite, la peine tortionnaire du fouet est encore en vigueur. L’été passé, on a, par arrêt de justice, fouetté un homme de cinquante ans.

Cet homme se nommait Torode. C’était, lui aussi, un affamé, devenu voleur.

Non, ne nous lassons point. Faisons une émeute de philosophes pour l’adoucissement des codes. Diminuons la pénalité, augmentons l’instruction. Par les pas déjà faits, jugeons des pas à faire ! Quel bienfait que les circonstances atténuantes ! elles eussent empêché ce que je vais vous raconter.