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GENÈVE ET LA PEINE DE MORT

Républiques à esclaves, monarchies à soldats, sociétés à bourreaux ; partout la force, nulle part le droit. Ô les tristes maîtres du monde ! chenilles d’infirmités, boas d’orgueil.

Une occasion se présente où le progrès peut faire un pas. Genève va délibérer sur la peine de mort. De là votre lettre, monsieur. Vous me demandez d’intervenir, de prendre part à la discussion, de dire un mot. Je crains que vous ne vous abusiez sur l’efficacité d’une chétive parole isolée comme la mienne. Que suis-je ? Que puis-je ? Voilà bien des années déjà, — cela date de 1828, — que je lutte avec les faibles forces d’un homme contre cette chose colossale, contradictoire et monstrueuse, la peine de mort, composée d’assez de justice pour satisfaire la foule et d’assez d’iniquité pour épouvanter le penseur. D’autres ont fait plus et mieux que moi. La peine de mort a cédé un peu de terrain ; voilà tout. Elle s’est sentie honteuse dans Paris, en présence de toute cette lumière. La guillotine a perdu son assurance, sans abdiquer pourtant ; chassée de la Grève, elle a reparu barrière Saint-Jacques ; chassée de la barrière Saint-Jacques, elle a reparu à la Roquette. Elle recule, mais elle reste.

Puisque vous réclamez mon concours, monsieur, je vous le dois. Mais ne vous faites pas illusion sur le peu de part que j’aurai au succès si vous réussissez. Depuis trente-cinq ans, je le répète, j’essaye de faire obstacle au meurtre en place publique. J’ai dénoncé sans relâche cette voie de fait de la loi d’en bas sur la loi d’en haut. J’ai poussé à la révolte la conscience universelle ; j’ai attaqué cette exaction par la logique, et par la pitié, cette logique suprême ; j’ai combattu, dans l’ensemble et dans le détail, la pénalité démesurée et aveugle qui tue ; tantôt traitant la thèse générale, tâchant d’atteindre et de blesser le fait dans son principe même, et m’efforçant de renverser, une fois pour toutes, non un échafaud, mais l’échafaud ; tantôt me bornant à un cas particulier, et ayant pour but de sauver tout simplement la vie d’un homme. J’ai quelquefois réussi, plus souvent échoué. Beaucoup de nobles esprits se sont dévoués à la même tâche ; et, il y a dix mois à peine, la généreuse presse belge, me venant énergique-