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LETTRE DE FÉLIX PYAT.

qu’il a gagné. Il avait vos cheveux blancs et vous avez ses lauriers !

« Le frère de Charles et son égal en talent, votre fils François, a reconnu lui-même, avec le coup d’œil paternel, le mal que nous a fait l’amnistie. L’armée de l’exil, a-t-il dit justement, avait son ordre, ses guides et guidons. L’amnistie l’a licenciée, débandée, dispersée au dedans, avec ses guides au dehors. L’armée est battue. Rentrée d’Achille, chute d’Hector. Achille meurt, c’est vrai, mais Troie tombe. Si le plus fort attend la victoire du plus faible, c’est le monde renversé. Adieu Patrocle et ses myrmidons !

« Loin de moi l’idée que vous reposez sous votre tente ! Vos armes, comme la foudre, brillent dans l’immensité. Mais elles s’y perdent aussi. Elles gagneraient à se concentrer du dehors au dedans. Excusez-moi ! franchise est républicaine. Et la mienne n’est pas bouche d’or comme la vôtre. Elle est de fer. Quel choc dans Paris, si vous rentriez tous le 22 septembre !

« Vous avez fait l’Homme qui Rit, un événement. Vous feriez l’Homme qui Pleure, un tremblement !

« Toutefois, ce n’est là qu’une opinion. L’histoire même n’a point d’ordre à donner. À peine un conseil. Et ce conseil ne gagne pas en autorité, venant de moi. Je vous propose, ou plutôt je vous soumets mon avis aussi humblement que témérairement. Prenez-le pour ce qu’il vaut. J’ajouterai même qu’il n’y a rien d’absolu de ce qui est humain ; que les faits du passé peuvent avoir tort pour l’avenir.

« Ainsi donc, en définitive, à chacun l’appréciation de sa propre utilité. Respect à toute conviction ! liberté à toute conscience ! À la vôtre surtout. Vous avez prérogative d’astre, plus splendide encore à votre couchant qu’à votre lever ! Peut-être vaut-il mieux que vous restiez dans votre ciel de feu, comme le dieu d’Homère, pour éclairer le combat. Chacun sa tâche ; le phare porte la flamme et le flot la nef ; soit ! Mais, quelle que soit la décision prise, qu’on agisse en détail ou en bloc, sur un même point ou à différents postes, épars ou massés, de loin ou de près, dedans ou dehors, en France ou en Chine, peu importe ! le devoir sera rempli, l’honneur sauf partout — sinon la victoire !

« Ce qui importe surtout et avant tout, c’est que nous soyons unis. Sinon, nous sommes morts.

« Pour l’amour du droit, dehors ou dedans, soyons unis ! J’ai admiré et béni votre recommandation magistrale au début du Rappel. C’est le salut.

« En avant donc tous ensemble ! absents ou présents, tout ce qui vibre, tout ce qui vit, tout ce qui hait ; tout ce qui a vécu au nom du droit, de l’ordre, de la paix, de la vie de la France ; tout ce qui préfère le droit aux hommes, le principe à tout ; tout ce qui est prêt à leur sacrifier corps, biens et âme, art, gloire et nom, colonies et