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HENNETT DE KESLER

cation ; il avait rejeté les préjugés sucés avec le lait ; il avait dépouillé, non le vieil homme, mais le vieil enfant ; pas à pas, il était sorti des idées fausses et entré dans les idées vraies ; et mûri, grandi, averti par la réalité, rectifié par la logique, de royaliste il était devenu républicain. Une fois qu’il eut vu la vérité, il s’y dévoua. Pas de dévouement plus profond et plus tenace que le sien. Quoique atteint du mal du pays, il a refusé l’amnistie. Il a affirmé sa foi par sa mort.

Il a voulu protester jusqu’au bout. Il est resté exilé par adoration pour la patrie. L’amoindrissement de la France lui serrait le cœur. Il avait l’œil fixé sur ce mensonge qui est l’empire ; il s’indignait, il frémissait de honte, il souffrait. Son exil et sa colère ont duré dix-neuf ans. Le voilà enfin endormi.

Endormi. Non. Je retire ce mot. La mort ne dort pas. La mort vit. La mort est une réalisation splendide. La mort touche à l’homme de deux façons. Elle le glace, puis elle le ressuscite. Son souffle éteint, oui, mais il rallume. Nous voyons les yeux qu’elle ferme, nous ne voyons pas ceux qu’elle ouvre.

Adieu, mon vieux compagnon. — Tu vas donc vivre de la vraie vie ! Tu vas aller trouver la justice, la vérité, la fraternité, l’harmonie et l’amour dans la sérénité immense. Te voilà envolé dans la clarté. Tu vas connaître le mystère profond de ces fleurs, de ces herbes que le vent courbe, de ces vagues qu’on entend là-bas, de cette grande nature qui accepte la tombe dans sa nuit et l’âme dans sa lumière. Tu vas vivre de la vie sacrée et inextinguible des étoiles. Tu vas aller où sont les esprits lumineux qui ont éclairé et qui ont vécu, où sont les penseurs, les martyrs, les apôtres, les prophètes, les précurseurs, les libérateurs. Tu vas voir tous ces grands cœurs flamboyants dans la forme radieuse que leur a donnée la mort. Écoute, tu diras à Jean-Jacques que la raison humaine est battue de verges ; tu diras à Beccaria que la loi en est venue à ce degré de honte qu’elle se cache pour tuer ; tu diras à Mirabeau que Quatrevingt-neuf est lié au pilori ; tu diras à Danton que le territoire est envahi par une horde pire que l’étranger ; tu diras à Saint-Just que le peuple n’a pas le droit de parler ;