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PENDANT L’EXIL. — 1862.

nale, sorte de lien préparatoire entre les peuples, je vois ici, réunis, des publicistes, des philosophes, d’éminents écrivains, l’honneur des lettres, l’honneur du continent civilisé. Je suis troublé et confus d’être le centre d’une telle fête d’intelligences, et de voir tant d’honneur s’adresser à moi, qui ne suis rien qu’une conscience acceptant le devoir et un cœur résigné au sacrifice.

Remercier cette ville dans son premier magistrat serait simple, mais, je le répète, comment vous remercier tous ? comment serrer toutes vos mains dans une seule étreinte ? Eh bien, le moyen est simple aussi. Vous tous, qui êtes ici, écrivains, journalistes, éditeurs, imprimeurs, publicistes, penseurs, que représentez-vous ? Toutes les énergies de l’intelligence, toutes les formes de la publicité, vous êtes l’esprit-légion, vous êtes l’organe nouveau de la société nouvelle, vous êtes la Presse. Je porte un toast à la presse !

À la presse chez tous les peuples ! à la presse libre ! à la presse puissante, glorieuse et féconde !

Messieurs, la presse est la clarté du monde social ; et, dans tout ce qui est clarté, il y a quelque chose de la providence.

La pensée est plus qu’un droit, c’est le souffle même de l’homme. Qui entrave la pensée, attente à l’homme même. Parler, écrire, imprimer, publier, ce sont là, au point de vue du droit, des identités ; ce sont là les cercles, s’élargissant sans cesse, de l’intelligence en action ; ce sont là les ondes sonores de la pensée.

De tous ces cercles, de tous ces rayonnements de l’esprit humain, le plus large, c’est la presse. Le diamètre de la presse, c’est le diamètre même de la civilisation.

À toute diminution de la liberté de la presse correspond une diminution de civilisation ; là où la presse libre est interceptée, on peut dire que la nutrition du genre humain est interrompue. Messieurs, la mission de notre temps, c’est de changer les vieilles assises de la société, de créer l’ordre vrai, et de substituer partout les réalités aux fictions. Dans ce déplacement des bases sociales, qui est le colossal travail de notre siècle, rien ne résiste à la presse appliquant sa puissance de traction au catholicisme,