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PENDANT L’EXIL. — 1869

Le premier besoin de l’homme, son premier droit, son premier devoir, c’est la liberté.

La civilisation tend invinciblement à l’unité d’idiome, à l’unité de mètre, à l’unité de monnaie, et à la fusion des nations dans l’humanité, qui est l’unité suprême. La concorde a un synonyme, simplification ; de même que la richesse et la vie ont un synonyme, circulation. La première des servitudes, c’est la frontière.

Qui dit frontière, dit ligature. Coupez la ligature, effacez la frontière, ôtez le douanier, ôtez le soldat, en d’autres termes, soyez libres ; la paix suit.

Paix désormais profonde. Paix faite une fois pour toutes. Paix inviolable. État normal du travail, de l’échange, de l’offre et de la demande, de la production et de la consommation, du vaste effort en commun, de l’attraction des industries, du va-et-vient des idées, du flux et reflux humain.

Qui a intérêt aux frontières ? Les rois. Diviser pour régner. Une frontière implique une guérite, une guérite implique un soldat. On ne passe pas, mot de tous les privilèges, de toutes les prohibitions, de toutes les censures, de toutes les tyrannies. De cette frontière, de cette guérite, de ce soldat, sort toute la calamité humaine.

Le roi, étant l’exception, a besoin, pour se défendre, du soldat, qui à son tour a besoin du meurtre pour vivre. Il faut aux rois des armées, il faut aux armées la guerre. Autrement, leur raison d’être s’évanouit. Chose étrange, l’homme consent à tuer l’homme sans savoir pourquoi. L’art des despotes, c’est de dédoubler le peuple en armée. Une moitié opprime l’autre.

Les guerres ont toutes sortes de prétextes, mais n’ont jamais qu’une cause, l’armée. Ôtez l’armée, vous ôtez la guerre. Mais comment supprimer l’armée ? Par la suppression des despotismes.

Comme tout se tient ! abolissez les parasitismes sous toutes leurs formes, listes civiles, fainéantises payées, clergés salariés, magistratures entretenues, sinécures aristocratiques, concessions gratuites des édifices publics, armées permanentes ; faites cette rature, et vous dotez l’Europe de dix milliards par an. Voilà d’un trait de plume le problème de la misère simplifié.