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PENDANT L’EXIL. — 1867.

3 janvier, quatre batailles, dont trois victoires. Apocorona, Vaffé, Castel Selino, et un désastre illustre, Arcadion ! l’île coupée en deux par l’insurrection, moitié aux turcs, moitié aux grecs ; une ligne d’opérations allant par Sciffo et Rocoli, de Kissamos à Lassiti et même à Girapetra. Il y a six semaines, les turcs refoulés n’avaient plus que quelques points du littoral, et le versant occidental des monts Psiloriti où est Ambelirsa. En cette minute, le doigt levé de l’Europe eût sauvé Candie. Mais l’Europe n’avait pas le temps. Il y avait une noce en cet instant-là, et l’Europe regardait le bal.

On connaît ce mot, Arcadion, on connaît peu le fait. En voici les détails précis et presque ignorés. Dans Arcadion, monastère du mont Ida, fondé par Héraclius, seize mille turcs attaquent cent quatrevingt-dix-sept hommes, et trois cent quarante-trois femmes, plus les enfants. Les turcs ont vingt-six canons et deux obusiers, les grecs ont deux cent quarante fusils. La bataille dure deux jours et deux nuits ; le couvent est troué de douze cents boulets ; un mur s’écroule, les turcs entrent, les grecs continuent le combat, cent cinquante fusils sont hors de service, on lutte encore six heures dans les cellules et dans les escaliers, et il y a deux mille cadavres dans la cour. Enfin la dernière résistance est forcée ; le fourmillement des turcs vainqueurs emplit le couvent. Il ne reste plus qu’une salle barricadée où est la soute aux poudres, et dans cette salle, près d’un autel, au centre d’un groupe d’enfants et de mères, un homme de quatrevingts ans, un prêtre, l’igoumène Gabriel, en prière. Dehors on tue les pères et les maris ; mais ne pas être tués, ce sera la misère de ces femmes et de ces enfants, promis à deux harems. La porte, battue de coups de hache, va céder et tomber. Le vieillard prend sur l’autel un cierge, regarde ces enfants et ces femmes, penche le cierge sur la poudre et les sauve. Une intervention terrible, l’explosion, secourt les vaincus, l’agonie se fait triomphe, et ce couvent héroïque, qui a combattu comme une forteresse, meurt comme un volcan.

Psara n’est pas plus épique, Missolonghi n’est pas plus sublime.

Tels sont les faits. Qu’est-ce que font les gouvernements