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les hommes ; elle croyait à Dieu, au peuple, au progrès, à la France ; elle versait autour d’elle, comme un vase, dans les esprits des prolétaires, son grand cœur plein d’amour et de foi. Voilà ce que faisait cette femme. M. Bonaparte l’a tuée.

Ah ! une telle tombe n’est pas muette ; elle est pleine de sanglots, de gémissements et de clameurs.

Citoyens, les peuples, dans le légitime orgueil de leur toute-puissance et de leur droit, construisent avec le granit et le marbre des édifices sonores, des enceintes majestueuses, des estrades sublimes, du haut desquelles parle leur génie, du haut desquelles se répandent à flots dans les âmes les éloquences saintes du patriotisme, du progrès et de la liberté ; les peuples, s’imaginant qu’il suffit d’être souverains pour être invincibles, croient inaccessibles et imprenables ces citadelles de la parole, ces forteresses sacrées de l’intelligence humaine et de la civilisation, et ils disent : la tribune est indestructible. Ils se trompent ; ces tribunes-là peuvent être renversées. Un traître vient, des soldats arrivent, une bande de brigands se concerte, se démasque, fait feu, et le sanctuaire est envahi, et la pierre et le marbre sont dispersés, et le palais, et le temple, où la grande nation parlait au monde, s’écroule, et l’immonde tyran vainqueur s’applaudit, bat des mains, et dit : C’est fini. Personne ne parlera plus. Pas une voix ne s’élèvera désormais. Le silence est fait. — Citoyens ! à son tour le tyran se trompe. Dieu ne veut pas que le silence se fasse ; Dieu ne veut pas que la liberté, qui est son verbe, se taise. Citoyens ! au moment où les despotes triomphants croient la leur avoir ôtée à jamais, Dieu redonne la parole aux idées. Cette tribune détruite, il la reconstruit. Non au milieu de la place publique, non avec le granit et le marbre, il n’en a pas besoin. Il la reconstruit dans la solitude ; il la reconstruit avec l’herbe du cimetière, avec l’ombre des cyprès, avec le monticule sinistre que font les cercueils cachés sous terre ; et de cette solitude, de cette herbe, de ces cyprès, de ces cercueils disparus, savez-vous ce qui sort, citoyens ? Il en sort le cri déchirant de l’humanité, il en sort la dénonciation et le témoignage, il en sort l’accusation inexorable