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l’avenir mystérieux les menaçait, pendant que les fureurs de la majorité s’acharnaient sur eux, pendant que la presse monarchique, c’est-à-dire anarchique, les insultait, que les journaux bonapartistes, complices des préméditations sinistres de l’Élysée, leur prodiguaient à dessein la boue et l’injure, et que la calomnie les faisait bons pour la proscription.

Je les ai vus ensuite après l’écroulement, dans la peine, dans la grande épreuve, conduisant au désert de l’exil la lugubre colonne des sacrifiés, et, moi qui les aimais, je les ai admirés.

Voilà ce que j’ai vu en Belgique, voilà, je le sais, ce que je vais revoir ici. Car ce grand exemple de la concorde des proscrits, dont la France a besoin, ce beau spectacle de la fraternité pratiquée devant lequel tombent les calomnies, la Belgique, certes, n’est point la seule à le donner. Il se retrouve sur tous les autres radeaux de la Méduse, sur tous les autres points où les naufragés de la proscription se sont groupés ; il se retrouve particulièrement à Jersey. Je vous en remercie, amis, au nom de notre malheur !

Oh ! scellons, consolidons, cimentons cette concorde ! abjurons toute dissidence et tout désaccord ! puisque nous n’avons plus qu’une couleur à notre drapeau, la pourpre, n’ayons plus qu’un sentiment dans nos âmes, la fraternité ! La France, je le répète, a besoin de nous savoir unis. Divisés, nous la troublons ; unis, nous la rassurons. Soyons unis pour être forts, et soyons unis pour être heureux !

Heureux ! quel mot ! Et peut-on le prononcer, hélas, quand la patrie est loin, quand la liberté est morte ? Oui, si l’on aime. S’aimer dans l’affliction, c’est le bonheur du malheur.

Et comment ne nous aimerions-nous pas ? Y a-t-il quelque douleur qui n’ait pas été également partagée à tous ? Nous avons le même malheur et la même espérance. Nous avons sur la tête le même ciel et le même exil. Ce que vous pleurez, je le pleure ; ce que vous regrettez, je le regrette ; ce que vous espérez, je l’attends. Étant pareils par le sort, comment ne serions-nous pas frères par l’esprit ? La larme que nous avons dans les yeux s’appelle France, le rayon que nous avons dans la pensée s’appelle république.