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CE QUE C’EST QUE L’EXIL.

venir d’en haut la foudre et d’en bas la lapidation. C’est presque leur faute ; pourquoi sont-ils des sommets ? Ils attirent le regard et l’affront. Ce passant, l’envieux, n’est jamais absent de la rue et a pour fonction la haine ; et toujours on le rencontre, petit et furieux, dans l’ombre des hauts édifices.

Les spécialistes auraient des études à faire dans la recherche des causes d’insomnie des grands hommes. Homère dort, bonus dormitat ; ce sommeil est piqué par Zoïle. Eschyle sent sur sa peau la cuisson d’Eupolis et de Cratinus ; ces infiniment petits abondent ; Virgile a sur lui Mœvius ; Horace, Licilius ; Juvénal, Codrus ; Dante a Cecchi ; Shakespeare a Green ; Rotrou a Scudéri, et Corneille a l’académie ; Molière a Donneau de Visé, Montesquieu a Desfontaines, Buffon a Labeaumelle, Jean-Jacques a Palissot, Diderot a Nonotte, Voltaire a Fréron. La gloire, lit doré où il y a des punaises.

L’exil n’est pas la gloire, mais il a avec la gloire cette ressemblance, la vermine. L’adversité n’est pas une chose qu’on laisse tranquille. Voir le sommeil du juste banni déplaît aux ramasseurs de miettes sous les tables de Néron ou de Tibère. Comment, il dort ! il est donc heureux ! mordons-le !

Un homme terrassé, gisant, balayé dehors (ce qui est tout simple ; quand Vitellius est l’idole, Juvénal est l’ordure), un expulsé, un déshérité, un vaincu, on est jaloux de cela. Chose bizarre, les proscrits ont des envieux. Cela se comprendrait des hautes vertus enviant les hautes infortunes, de Caton enviant Régulus, de Thraséas enviant Brutus, de Rabbe enviant Barbès. Mais point. Ce sont les vils qui se mêlent d’être jaloux des altiers ; ce qui est importuné par la fière protestation du vaincu, c’est la nullité plate et vaine. Gustave Planche jalouse Louis Blanc, Baculard jalouse Milton, et Jocrisse jalouse Eschyle.

L’insulteur antique ne suivait que le char du vainqueur, l’insulteur actuel suit la claie du vaincu. Le vaincu saigne. Les insulteurs ajoutent leur boue à ce sang. Soit. Qu’ils aient cette joie.

Cette joie paraît d’autant plus réelle qu’elle n’est point haïe du maître et qu’elle est habituellement payée. Les