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une faute irréparable. Il ferait à l’Union une fissure latente qui finirait par la disloquer. Il serait possible que le supplice de Brown consolidât l’esclavage en Virginie, mais il est certain qu’il ébranlerait toute la démocratie américaine. Vous sauvez votre honte, mais vous tuez votre gloire.

Au point de vue moral, il semble qu’une partie de la lumière humaine s’éclipserait, que la notion même du juste et de l’injuste s’obscurcirait, le jour où l’on verrait se consommer l’assassinat de la Délivrance par la Liberté.

Quant à moi, qui ne suis qu’un atome, mais qui, comme tous les hommes, ai en moi toute la conscience humaine, je m’agenouille avec larmes devant le grand drapeau étoilé du nouveau monde, et je supplie à mains jointes, avec un respect profond et filial, cette illustre république américaine d’aviser au salut de la loi morale universelle, de sauver John Brown, de jeter bas le menaçant échafaud du 16 décembre, et de ne pas permettre que, sous ses yeux, et, j’ajoute en frémissant, presque par sa faute, le premier fratricide soit dépassé.

Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus.


Victor Hugo.


Hauteville-House, 2 décembre 1859.




John Brown fut pendu. Victor Hugo lui fit cette épitaphe : Pro Christo sicut Christus. John Brown mort, la prophétie de Victor Hugo se réalisa. Deux ans après la prédiction qu’on vient de lire, l’Union américaine « se disloqua ». L’atroce guerre des Sudistes et des Nordistes éclata.