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et s’évanouissent dans le lugubre bivouac de Karvalik, que font les deux czars ? L’un prend le frais à son palais d’été ; l’autre prend les bains de mer à Biarritz.

Troublons ces joies.

Ô peuples, au-dessus des combinaisons, des intrigues et des ententes, au-dessus des diplomaties, au-dessus des guerres, au-dessus de toutes les questions, question turque, question grecque, question russe, au-dessus de tout ce que les monarchies font ou rêvent, planent les crimes.

Ne laissons pas prescrire la protestation vengeresse ; ne nous laissons pas distraire du but formidable. C’est toujours l’heure de dire : Néron est là ! On prétend que les générations oublient. Eh bien ! pour la sainteté même du droit, pour l’honneur même de la conscience humaine, les victimes nous le demandent, les martyrs nous le crient du fond de leurs tombeaux, ravivons les souvenirs, et faisons de toutes les mémoires des ulcères.

Ô peuples, le lugubre et menaçant acte d’accusation, non ! ne nous lassons jamais de le redire ! En ce moment les autocrates et les tyrans du continent triomphent ; ils ont mitraillé à Palerme, mitraillé à Brescia, mitraillé à Berlin, mitraillé à Vienne, mitraillé à Paris ; ils ont fusillé à Ancône, fusillé à Bologne, fusillé à Rome, fusillé à Arad, fusillé à Vincennes, fusillé au Champ de Mars ; ils ont dressé le gibet à Pesth, le garrot à Milan, la guillotine à Belley ; ils ont expédié les pontons, encombré les cachots, peuplé les casemates, ouvert les oubliettes ; ils ont donné au désert la fonction de bagne ; ils ont appelé à leur aide Tobolsk et ses neiges, Lambessa et ses fièvres, l’îlot de la Mère et son typhus ; ils ont confisqué, ruiné, séquestré, spolié ; ils ont proscrit, banni, exilé, expulsé, déporté ; quand cela a été fait, quand ils ont eu bien mis le pied sur la gorge de l’humanité, quand ils ont entendu son dernier râle, ils ont dit tout joyeux : c’est fini ! ― Et maintenant les voilà dans la salle du banquet. Les y voilà, vainqueurs, enivrés, tout-puissants, couronne en tête, lauriers au front. C’est le festin de la grande noce. C’est le mariage de la monarchie et du guet-apens, de la royauté et de l’assassinat, du droit divin et du faux serment, de tout ce