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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

Admirez ceci, messieurs ! Des furieux dévastent une imprimerie. Compensation : le gouvernement ruine l’imprimeur. (Nouveau mouvement. — En ce moment l’orateur s’interrompt. Il est très pâle et semble souffrant. On lui crie de toutes parts : Reposez-vous ! M. de Larochejaquelein lui passe un flacon. Il le respire, et reprend au bout de quelques instants.)

Est-ce que tout cela n’était pas merveilleux ? Est-ce qu’il ne se dégageait pas, de l’ensemble de tous ces moyens d’action placés dans la main du pouvoir, toute l’intimidation possible ? Est-ce que tout n’était pas épuisé là en fait d’arbitraire et de tyrannie, et y avait-il quelque chose au delà ?

Oui, il y avait cette loi.

Messieurs, je l’avoue, il m’est difficile de parler avec sang-froid de ce projet de loi. Je ne suis rien, moi, qu’un homme accoutumé, depuis qu’il existe, à tout devoir à cette sainte et laborieuse liberté de la pensée, et, quand je lis cet inqualifiable projet de loi, il me semble que je vois frapper ma mère. (Mouvement.)

Je vais essayer pourtant d’analyser cette loi froidement.

Ce projet, messieurs, c’est là son caractère, cherche à faire obstacle de toute part à la pensée. Il fait peser sur la presse politique, outre le cautionnement ordinaire, un cautionnement d’un nouveau genre, le cautionnement éventuel, le cautionnement discrétionnaire, le cautionnement de bon plaisir (rires et bravos), lequel, à la fantaisie du ministère public, pourra brusquement s’élever à des sommes monstrueuses, exigibles dans les trois jours. Au rebours de toutes les règles du droit criminel, qui présume toujours l’innocence, ce projet présume la culpabilité, et il condamne d’avance à la ruine un journal qui n’est pas encore jugé. Au moment où la feuille incriminée franchit le passage de la chambre d’accusation à la salle des assises, le cautionnement éventuel est là comme une sorte de muet aposté qui l’étrangle entre les deux portes. (Sensation profonde.) Puis, quand le journal est mort, il le jette aux jurés, et leur dit : Jugez-le ! (Très bien !)

Ce projet favorise une presse aux dépens de l’autre, et