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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

Dites donc quelles sont les causes que j’ai reniées ; et, quant à vous, je ne dirai pas quelles sont les causes que vous avez flattées et que vous avez reniées, parce que je ne me sers pas légèrement de ces mots-là. Mais je vous dirai quels sont les drapeaux que vous avez, tristement pour vous, abandonnés. Il y en a deux : le drapeau de la Pologne et le drapeau de la liberté. (À gauche : Très bien ! très bien !)

M. Jules de Lasteyrie. — Le drapeau de la Pologne, nous l’avons abandonné le 15 mai.

M. Victor Hugo. — Un dernier mot.

L’honorable M. de Montalembert m’a reproché hier amèrement le crime d’absence. Je lui réponds : — Oui, quand je serai épuisé de fatigue par une heure et demie de luttes contre MM. les interrupteurs ordinaires de la majorité (cris à droite), qui recommencent, comme vous voyez ! (Rires à gauche.)

Quand j’aurai la voix éteinte et brisée, quand je ne pourrai plus prononcer une parole, et vous voyez que c’est à peine si je puis parler aujourd’hui (la voix de l’orateur est, en effet, visiblement altérée) ; quand je jugerai que ma présence muette n’est pas nécessaire à l’assemblée ; surtout quand il ne s’agira que de luttes personnelles, quand il ne s’agira que de vous et de moi, oui, monsieur de Montalembert, je pourrai vous laisser la satisfaction de me foudroyer à votre aise, moi absent, et je me reposerai pendant ce temps-là. (Longs éclats de rire à gauche et applaudissements.) Oui, je pourrai n’être pas présent ! Mais attaquez, par votre politique, vous et le parti clérical (mouvement), attaquez les nationalités opprimées, la Hongrie suppliciée, l’Italie garrottée, Rome crucifiée (profonde sensation) ; attaquez le génie de la France par votre loi d’enseignement ; attaquez le progrès humain par votre loi de déportation ; attaquez le suffrage universel par votre loi de mutilation ; attaquez la souveraineté du peuple, attaquez la démocratie, attaquez la liberté, et vous verrez, ces jours-là, si je suis absent !

(Explosion de bravos. — L’orateur, en descendant de la tribune, est entouré d’une foule de membres qui le félicitent, et regagne sa place, suivi par les applaudissements de toute la gauche. — La séance est un moment suspendue.)