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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

trouble, l’avenir qui m’est réservé. Je plains d’une pitié fraternelle toutes les victimes actuelles, toutes les victimes possibles de nos temps révolutionnaires. Je hais et je voudrais briser tout ce qui peut servir d’arme aux violences. Or cette loi que vous faites est une loi redoutable qui peut avoir d’étranges contre-coups, c’est une loi perfide dont les retours sont inconnus. Et peut-être, au moment où je vous parle, savez-vous qui je défends contre vous ? C’est vous ! (Profonde sensation.)

Oui, j’y insiste, vous ne savez pas vous-mêmes ce qu’à un jour donné, ce que, dans des circonstances possibles, votre propre loi fera de vous ! (Agitation inexprimable. Les interruptions se croisent.)

Vous vous récriez de ce côté, vous ne croyez pas à mes paroles. (À droite : Non ! non !) Voyons. Vous pouvez fermer les yeux à l’avenir ; mais les fermerez-vous au passé ? L’avenir se conteste, le passé ne se récuse pas. Eh bien ! tournez la tête, regardez à quelques années en arrière. Supposez que les deux révolutions survenues depuis vingt ans aient été vaincues par la royauté, supposez que votre loi de déportation eût existé alors, Charles X aurait pu l’appliquer à M. Thiers, et Louis-Philippe à M. Odilon Barrot. (Applaudissements à gauche.)

M. Odilon Barrot, se levant. — Je demande à l’orateur la permission de l’interrompre.

M. Victor Hugo. — Volontiers.

M. Odilon Barrot. — Je n’ai jamais conspiré ; j’ai soutenu le dernier la monarchie ; je ne conspirerai jamais, et aucune justice ne pourra pas plus m’atteindre dans l’avenir qu’elle n’aurait pu m’atteindre dans le passé. (Très bien ! à droite.)

M. Victor Hugo. — M. Odilon Barrot, dont j’honore le noble caractère, s’est mépris sur le sens de mes paroles. Il a oublié qu’au moment où je parlais, je ne parlais pas de la justice juste, mais de la justice injuste, de la justice politique, de la justice des partis. Or la justice injuste frappe l’homme juste, et pouvait et peut encore frapper M. Odilon Barrot. C’est ce que j’ai dit, et c’est ce que je maintiens. (Réclamations à droite.)

Quand je vous parle des revanches de la destinée et de tout ce qu’une pareille loi peut contenir de contrecoups, vous