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AVANT L’EXIL.

« — Et si l’on tire sur nous ? lui dit un jeune ouvrier.

« — Vous courrez aux armes », répliqua Victor Hugo.

« Il ajouta : — Louis Bonaparte est un rebelle ; il se couvre aujourd’hui de tous les crimes. Nous, représentants du peuple, nous le mettons hors la loi ; mais, sans même qu’il soit besoin de notre déclaration, il est hors la loi par le seul fait de sa trahison. Citoyens ! vous avez deux mains, prenez dans l’une votre droit, dans l’autre votre fusil, et courez sur Bonaparte ! »

« La foule poussa une acclamation.

« Un bourgeois qui fermait sa boutique dit à l’orateur : « Parlez moins haut, si l’on vous entendait parler comme cela, on vous fusillerait.

« — Eh bien ! répondit Hugo, vous promèneriez mon cadavre, et ce serait une bonne chose que ma mort si la justice de Dieu en sortait ! »

« Tous crièrent : Vive Victor Hugo ! — Criez : Vive la Constitution ! leur dit-il. Un cri formidable de Vive la constitution ! Vive la république ! sortit de toutes les poitrines.

« L’enthousiasme, l’indignation, la colère mêlaient leurs éclairs dans tous les regards. C’était là, peut-être, une minute suprême. Victor Hugo fut tenté d’enlever toute cette foule et de commencer le combat.

« Charamaule le retint et lui dit tout bas : — « Vous causerez une mitraillade inutile ; tout ce monde est désarmé. L’infanterie est à deux pas de nous, et voici l’artillerie qui arrive. »

« En effet, plusieurs pièces de canon, attelées, débouchaient par la rue de Bondy, derrière le Château-d’Eau. Saisir un tel moment, ce pouvait être la victoire, mais ce pouvait être aussi un massacre.

« Le conseil de s’abstenir, donné par un homme aussi intrépide que l’a été Charamaule pendant ces tristes jours, ne pouvait être suspect ; en outre Victor Hugo, quel que fût son entraînement intérieur, se sentait lié par la délibération de la gauche. Il recula devant la responsabilité qu’il aurait encourue ; depuis, nous l’avons entendu souvent répéter lui-même : « Ai-je eu raison ? Ai-je eu tort ? »

« Un cabriolet passait ; Victor Hugo et Charamaule s’y jetèrent. La foule suivit quelque temps la voiture en criant : Vive la république ! Vive Victor Hugo !

« Les deux représentants se dirigèrent vers la rue Blanche, où ils rendirent compte de la scène du Château d’Eau ; ils essayèrent encore de décider leurs collègues à une action révolutionnaire, mais la décision du matin fut maintenue.

« Alors Victor Hugo dicta au courageux Baudin la proclamation suivante :

« Louis-Napoléon est un traître.

« Il a violé la constitution.

« Il s’est mis hors la loi.

« Les représentants républicains rappellent au peuple et à l’armée l’article 68 et l’article 110 ainsi conçus : « L’assemblée constituante confie la défense de la présente constitution et des droits qu’elle consacre à la garde et au patriotisme de tous les français. »