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FUNÉRAILLES DE FRÉDÉRIC SOULIÉ.

que là sont toutes les misères, parce que là aussi sont toutes les grandeurs. Ses amis le savent, ses ouvrages l’attestent, ses succès le prouvent, toute sa vie Frédéric Soulié a eu les yeux fixés dans une étude sévère sur les clartés de l’intelligence, sur les grandes vérités politiques, sur les grands mystères sociaux. Il vient d’interrompre sa contemplation, il est allé la reprendre ailleurs ; il est allé trouver d’autres clartés, d’autres vérités, d’autres mystères, dans l’ombre profonde de la mort.

Un dernier mot, messieurs. Que cette foule qui nous entoure et qui veut bien m’écouter avec tant de religieuse attention ; que ce peuple généreux, laborieux et pensif, qui ne fait défaut à aucune de ces solennités douloureuses et qui suit les funérailles de ses écrivains comme on suit le convoi d’un ami ; que ce peuple si intelligent et si sérieux le sache bien, quand les philosophes, quand les écrivains, quand les poëtes viennent apporter ici, à ce commun abîme de tous les hommes, un des leurs, ils viennent sans trouble, sans ombre, sans inquiétude, pleins d’une foi inexprimable dans cette autre vie sans laquelle celle-ci ne serait digne ni de Dieu qui la donne, ni de l’homme qui la reçoit. Les penseurs ne se défient pas de Dieu ! Ils regardent avec tranquillité, avec sérénité, quelques-uns avec joie, cette fosse qui n’a pas de fond ; ils savent que le corps y trouve une prison, mais que l’âme y trouve des ailes.

Oh ! les nobles âmes de nos morts regrettés, ces âmes qui, comme celle dont nous pleurons en ce moment le départ, n’ont cherché dans ce monde qu’un but, n’ont eu qu’une inspiration, n’ont voulu qu’une récompense à leurs travaux, la lumière et la liberté, non ! elles ne tombent pas ici dans un piège ! Non ! la mort n’est pas un mensonge ! Non ! elles ne rencontrent pas dans ces ténèbres cette captivité effroyable, cette affreuse chaîne qu’on appelle le néant ! Elles y continuent, dans un rayonnement plus magnifique, leur vol sublime et leur destinée immortelle. Elles étaient libres dans la poésie, dans l’art, dans l’intelligence, dans la pensée ; elles sont libres dans le tombeau !