Delavigne ; peu d’existences ont
été aussi bien occupées malgré les souffrances du corps, aussi bien
remplies malgré la brièveté des jours. Deux fois poëte, doué tout
ensemble de la puissance lyrique et de la puissance dramatique,
il avait tout connu, tout obtenu, tout éprouvé, tout traversé, la
popularité, les applaudissements, l’acclamation de la foule, les
triomphes du théâtre, toujours si éclatants, toujours si contestés.
Comme toutes les intelligences supérieures, il avait l’œil
constamment fixé sur un but sérieux ; il avait senti cette vérité,
que le talent est un devoir ; il comprenait profondément, et avec le
sentiment de sa responsabilité, la haute fonction que la pensée exerce
parmi les hommes, que le poëte remplit parmi les esprits. La fibre
populaire vibrait en lui ; il aimait le peuple dont il était, et il
avait tous les instincts de ce magnifique avenir de travail et de
concorde qui attend l’humanité. Jeune homme, son enthousiasme avait
salué ces règnes éblouissants et illustres qui agrandissent les
nations par la guerre ; homme fait, son adhésion éclairée s’attachait à
ces gouvernements intelligents et sages qui civilisent le monde par la
paix.
Il a bien travaillé. Qu’il repose maintenant ! Que les petites haines qui poursuivent les grandes renommées, que les divisions d’écoles, que les rumeurs de partis, que les passions et les ingratitudes littéraires fassent silence autour du noble poëte endormi ! Injustices, clameurs, luttes, souffrances, tout ce qui trouble et agite la vie des hommes éminents s’évanouit à l’heure sacrée où nous sommes. La mort, c’est l’avénement du vrai. Devant la mort, il ne reste du poëte que la gloire, de l’homme que l’âme, de ce monde que Dieu.