Page:Hugo - Actes et paroles - volume 2.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
AVANT L’EXIL. — ENTERREMENTS.


Delavigne ; peu d’existences ont été aussi bien occupées malgré les souffrances du corps, aussi bien remplies malgré la brièveté des jours. Deux fois poëte, doué tout ensemble de la puissance lyrique et de la puissance dramatique, il avait tout connu, tout obtenu, tout éprouvé, tout traversé, la popularité, les applaudissements, l’acclamation de la foule, les triomphes du théâtre, toujours si éclatants, toujours si contestés. Comme toutes les intelligences supérieures, il avait l’œil constamment fixé sur un but sérieux ; il avait senti cette vérité, que le talent est un devoir ; il comprenait profondément, et avec le sentiment de sa responsabilité, la haute fonction que la pensée exerce parmi les hommes, que le poëte remplit parmi les esprits. La fibre populaire vibrait en lui ; il aimait le peuple dont il était, et il avait tous les instincts de ce magnifique avenir de travail et de concorde qui attend l’humanité. Jeune homme, son enthousiasme avait salué ces règnes éblouissants et illustres qui agrandissent les nations par la guerre ; homme fait, son adhésion éclairée s’attachait à ces gouvernements intelligents et sages qui civilisent le monde par la paix.

Il a bien travaillé. Qu’il repose maintenant ! Que les petites haines qui poursuivent les grandes renommées, que les divisions d’écoles, que les rumeurs de partis, que les passions et les ingratitudes littéraires fassent silence autour du noble poëte endormi ! Injustices, clameurs, luttes, souffrances, tout ce qui trouble et agite la vie des hommes éminents s’évanouit à l’heure sacrée où nous sommes. La mort, c’est l’avénement du vrai. Devant la mort, il ne reste du poëte que la gloire, de l’homme que l’âme, de ce monde que Dieu.