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AVANT L’EXIL. — ACADÉMIE FRANÇAISE.

une conscience, depuis l’homme du peuple jusqu’à l’homme de lettres, depuis l’ouvrier jusqu’au penseur, cet autre ouvrier ! C’est que tous, nous qui étions enfants lorsque M. Delavigne était homme, nous qui étions obscurs lorsqu’il était célèbre, nous qui luttions lorsqu’on le couronnait, quelle que fût l’école, quel que fût le parti, quel que fût le drapeau, nous l’estimions et nous l’aimions ! C’est que, depuis ses premiers jours jusqu’aux derniers, sentant qu’il honorait les lettres, nous avions, même en restant fidèles à d’autres idées que les siennes, applaudi du fond du cœur à tous ses pas dans sa radieuse carrière, et que nous l’avions suivi de triomphe en triomphe avec cette joie profonde qu’éprouve toute âme élevée et honnête à voir le talent monter au succès et le génie monter à la gloire !

Vous avez apprécié, monsieur, selon la variété d’aperçus et l’excellent tour d’esprit qui vous est propre, cette riche nature, ce rare et beau talent. Permettez-moi de le glorifier à mon tour, quoiqu’il soit dangereux d’en parler après vous.

Dans M. Casimir Delavigne il y avait deux poëtes, le poëte lyrique et le poëte dramatique. Ces deux formes du même esprit se complétaient l’une par l’autre. Dans tous ses poëmes, dans toutes ses messéniennes, il y a de petits drames ; dans ses tragédies, comme chez tous les grands poëtes dramatiques, on sent à chaque instant passer le souffle lyrique. Disons-le à cette occasion, ce côté par lequel le drame est lyrique, c’est tout simplement le côté par lequel il est humain. C’est, en présence des fatalités qui viennent d’en haut, l’amour qui se plaint, la terreur qui se récrie, la haine qui blasphème, la pitié qui pleure, l’ambition qui aspire, la virilité qui lutte, la jeunesse qui rêve, la vieillesse qui se résigne ; c’est le moi de chaque personnage qui parle. Or, je le répète, c’est là le côté humain du drame. Les événements sont dans la main de Dieu ; les sentiments et les passions sont dans le cœur de l’homme. Dieu frappe le coup, l’homme pousse le cri. Au théâtre, c’est le cri surtout que nous voulons entendre. Cri humain et profond qui émeut une foule comme une seule âme ; douloureux dans Molière quand il se fait jour à travers les rires, terrible dans