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LE DROIT ET LA LOI.


VI


En 1848, son parti n’était pas pris sur la forme sociale définitive. Chose singulière, on pourrait presque dire qu’à cette époque la liberté lui masqua la république. Sortant d’une série de monarchies essayées et mises au rebut tour à tour, monarchie impériale, monarchie légitime, monarchie constitutionnelle, jeté dans des faits inattendus qui lui semblaient illogiques, obligé de constater à la fois dans les chefs guerriers qui dirigeaient l’état l’honnêteté et l’arbitraire, ayant malgré lui sa part de l’immense dictature anonyme qui est le danger des assemblées uniques, il se décida à observer, sans adhésion, ce gouvernement militaire où il ne pouvait reconnaître un gouvernement démocratique, se borna à protéger les principes quand ils lui parurent menacés et se retrancha dans la défense du droit méconnu. En 1848, il y eut presque un dix-huit fructidor ; les dix-huit fructidor ont cela de funeste qu’ils donnent le modèle et le prétexte aux dix-huit brumaire, et qu’ils font faire par la république des blessures à la liberté ; ce qui, prolongé, serait un suicide. L’insurrection de juin fut fatale, fatale par ceux qui l’allumèrent, fatale par ceux qui l’éteignirent ; il la combattit ; il fut un des soixante représentants envoyés par l’assemblée aux barricades. Mais, après la victoire, il dut se séparer des vainqueurs. Vaincre, puis tendre la main aux vaincus, telle est la loi de sa vie. On fit le contraire. Il y a bien vaincre et mal vaincre. L’insurrection de 1848 fut mal vaincue. Au lieu de pacifier, on envenima ; au lieu de relever, on foudroya ; on acheva l’écrasement ; toute la violence soldatesque se déploya ; Cayenne, Lambessa, déportation sans jugement ; il s’indigna ; il prit fait et cause pour les accablés ; il éleva la voix pour toutes ces pauvres familles désespérées ; il repoussa cette fausse république de conseils de guerre et d’état de siège. Un jour, à l’assemblée, le