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LA LIBERTÉ DU THÉÂTRE.

une répression efficace, justement parce qu’ils n’entendent pas grand’chose aux délits de théâtre, suivront aveuglément les indications du ministère public et condamneront sans broncher sur ouï-dire ? Alors savez-vous ce que vous aurez fait ? Vous aurez créé la pire des censures, la censure de la peur. Les directeurs, tremblant devant des arrêts qui seraient leur ruine, mutileront la pensée et supprimeront la liberté.

Vous êtes placés entre deux systèmes impossibles : la censure préventive, que je vous défie d’organiser convenablement ; la censure répressive, la seule admissible maintenant, mais qui échappe aux moyens du droit commun.

Je ne vois qu’une manière de sortir de cette double impossibilité.

Pour arriver à la solution, reprenons le système théâtral tel que je vous l’ai indiqué. Vous avez un certain nombre de théâtres subventionnés, tous les autres sont livrés à l’industrie privée ; à Paris, il y a quatre théâtres subventionnés par le gouvernement et quatre par la ville.

L’état normal de Paris ne comporte pas plus de seize théâtres. Sur ces seize théâtres, la moitié sera donc sous l’influence directe du gouvernement ou de la ville ; l’autre moitié fonctionnera sous l’empire des restrictions de police et autres, que dans votre loi vous imposerez à l’industrie théâtrale.

Pour alimenter tous ces théâtres et ceux de la province, dont la position sera analogue, vous aurez la corporation des auteurs dramatiques, corporation composée d’environ trois cents personnes et ayant un syndicat.

Cette corporation a le plus sérieux intérêt à maintenir le théâtre dans la limite où il doit rester pour ne point troubler la paix de l’état et l’honnêteté publique. Cette corporation, par la nature même des choses, a sur ses membres un ascendant disciplinaire considérable. Je suppose que l’état reconnaît cette corporation, et qu’il en fait son instrument. Chaque année elle nomme dans son sein un conseil de prud’hommes, un jury. Ce jury, élu au suffrage universel, se composera de huit ou dix membres. Ce seront toujours, soyons-en sûrs, les personnages les plus considérés et les plus considérables de l’association. Ce jury, que vous appellerez jury de blâme ou de tout autre nom que vous voudrez, sera saisi, soit sur la plainte de l’autorité publique, soit sur celle de la commission dramatique elle-même, de tous les délits de théâtre commis par les auteurs, les directeurs, les comédiens. Composé d’hommes spéciaux, investi d’une sorte de magistrature de famille, il aura la plus grande autorité, il comprendra parfaitement la matière, il sera sévère dans la répression, et il saura superposer la peine au délit.

Le jury dramatique juge les délits. S’il les reconnaît, il les blâme ;