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LA LIBERTÉ DU THÉÂTRE.

le peuple français, la population parisienne principalement, ont beaucoup du peuple athénien ; il faut quelque chose pour occuper leur imagination. Les théâtres municipaux seront des espèces de dérivatifs, qui neutraliseront les bouillonnements populaires. Avec eux, le peuple parisien lira moins de mauvais pamphlets, boira moins de mauvais vins, hantera moins de mauvais lieux, fera moins de révolutions violentes.

L’intérêt de la ville est patent ; il est naturel qu’elle fasse les frais de ces fondations. Elle ferait appel à des auteurs sages et distingués, qui produiraient sur la scène des pièces élémentaires, tirées surtout de notre histoire nationale. Vous avez vu une partie de cette pensée réalisée par le Cirque ; on a eu tort de le laisser fermer.

Les théâtres municipaux seraient répartis entre les différents quartiers de la capitale, et placés surtout dans les quartiers les moins riches, dans les faubourgs.

Ainsi, à la charge de l’état, quatre théâtres nationaux pour la France et pour l’Europe ; à la charge de la ville, quatre théâtres municipaux pour le peuple des faubourgs ; à côté de ce haut enseignement de l’état, les théâtres libres ; voilà mon système.

Selon moi, de ce système, qui est la liberté, sortiraient la grandeur de l’art et l’amélioration du peuple, qui sont mes deux buts. Vous avez vu ce qu’avait produit, pour ces deux grands buts, le système basé sur l’autorité, c’est-à-dire le privilége et la censure. Comparez et choisissez.

M. le président. — Vous admettez le régime de la liberté, mais vous faites aux théâtres libres une condition bien difficile. Ils seront écrasés par ceux de l’état.

M. Victor Hugo. — Le rôle des théâtres libres est loin d’être nul à côté des théâtres de l’état. Ces théâtres lutteront avec les vôtres. Quoique vous soyez le gouvernement, vous vous trompez quelquefois. Il vous arrive de repousser des œuvres remarquables ; les théâtres libres accueilleront ces œuvres-là. Ils profiteront des erreurs que vous aurez commises, et les applaudissements du public que vous entendrez dans les salles seront pour vous des reproches et vous stimuleront.

On va me dire : Les théâtres libres, qui auront peine à faire concurrence au gouvernement, chercheront, pour réussir, les moyens les plus fâcheux ; ils feront appel au dévergondage de l’imagination ou aux passions populaires ; pour attirer le public, ils spéculeront sur le scandale ; ils feront de l’immoralité et ils feront de la politique ; ils joueront des pièces extravagantes, excentriques, obscènes, et des comédies aristophanesques. — S’il y a dans tout cela quelque chose de criminel, on pourra le réprimer par les moyens légaux ; sinon, ne vous en inquiétez pas. Je suis un de ceux qui ont