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NOTES. — CONSEIL D’ÉTAT.

but plus élevé encore. Je veux que vous fassiez des chefs-d’œuvre, s’il est possible, mais je veux surtout que vous amélioriez le peuple de toutes les classes. Versez dans la population des idées saines ; faites que vos ouvrages ne sortent pas d’une certaine ligne que voici, et qui me paraît la meilleure. — C’est là un langage que tout le monde comprendra ; tout esprit consciencieux, toute âme honnête sentira l’importance de la mission. Vous aurez un théâtre qui attirera la foule et qui répandra les idées civilisatrices, l’héroïsme, le dévouement, l’abnégation, le devoir, l’amour du pays par la reproduction vraie, animée ou même patriotiquement exaltée, des grands faits de notre histoire.

Et savez-vous ce qui arrivera ? Vous n’attirerez pas seulement le peuple à vos théâtres, vous y attirerez l’étranger. Pas un homme riche en Europe qui ne soit tenu de venir à vos théâtres compléter son éducation française et littéraire. Ce sera là une source de richesse pour la France et pour Paris. Vos magnifiques subventions, savez-vous qui les payera ? L’Europe. L’argent de l’étranger affluera chez vous ; vous ferez à la gloire nationale, une avance que l’admiration européenne vous remboursera.

Messieurs, au moment où nous sommes, il n’y a qu’une seule nation qui soit en état de donner des produits littéraires au monde entier, et cette nation, c’est la nation française. Vous avez donc là un monopole immense, un monopole que l’univers civilisé subit depuis dix-huit ans. Les ministres qui nous ont gouvernés n’ont eu qu’une seule pensée : comprimer la littérature française à l’intérieur, la sacrifier au dehors, la laisser systématiquement spolier dans un royaume voisin par la contrefaçon. Je favoriserais, au contraire, cet admirable monopole sous toutes ses formes, et je le répandrais sur le monde entier ; je créerais à Paris des foyers lumineux qui éclaireraient toutes les nations, et vers lesquels toutes les nations se tourneraient.

Ce n’est pas tout. Pour achever l’œuvre, je voudrais des théâtres spéciaux pour le peuple ; ces théâtres, je les mettrais à la charge, non de l’état, mais de la ville de Paris. Ce seraient des théâtres créés à ses frais et bien choisis par son administration municipale parmi les théâtres déjà existants, et dès lors subventionnés par elle. Je les appellerais théâtres municipaux.

La ville de Paris est intéressée, sous tous les rapports, à l’existence de ces théâtres. Ils développeraient les sentiments moraux et l’instruction dans les classes inférieures ; ils contribueraient à faire régner le calme dans cette partie de la population, d’où sortent parfois des commotions si fatales à la ville.

Je l’ai dit plus haut d’une manière générale en me faisant le plagiaire de l’empereur Napoléon, je le répète ici en appliquant surtout mon assertion aux classes inférieures de la population parisienne :