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LA LIBERTÉ DU THÉÂTRE.

J’ai dans le cœur une certaine indifférence pour les formes politiques, et une inexprimable passion pour la liberté. Je viens de vous le dire, la liberté est mon principe, et, partout où elle m’apparaît, je plaide ou je lutte pour elle.

Cependant si, dans la question théâtrale, vous trouvez un moyen qui ne soit pas la liberté, mais qui me donne le progrès de l’art et l’amélioration du peuple, j’irai jusqu’à vous sacrifier le grand principe pour lequel j’ai toujours combattu, je m’inclinerai et je me tairai. Maintenant, pouvez-vous arriver à ces résultats autrement que par la liberté ?

Vous touchez, dans la matière spéciale qui vous occupe, à la grande, à l’éternelle question qui reparaît sans cesse, et sous toutes les formes, dans la vie de l’humanité. Les deux grands principes qui la dominent dans leur lutte perpétuelle, la liberté, l’autorité, sont en présence dans cette question-ci comme dans toutes les autres. Entre ces deux principes, il vous faudra choisir, sauf ensuite à faire d’utiles accommodements entre celui que vous choisirez et celui que vous ne choisirez pas. Il vous faudra choisir ; lequel prendrez-vous ? Examinons.

Dans la question des théâtres, le principe de l’autorité a ceci pour lui et contre lui qu’il a déjà été expérimenté. Depuis que le théâtre existe en France, le principe d’autorité le possède. Si l’on a constaté ses inconvénients, on a aussi constaté ses avantages, on les connaît. Le principe de liberté n’a pas encore été mis à l’épreuve.

M. le président. — Il a été mis à l’épreuve de 1791 à 1806.

M. Victor Hugo. — Il fut proclamé en 1791, mais non réalisé ; on était en présence de la guillotine. La liberté germait alors, elle ne régnait pas. Il ne faut point juger des effets de la liberté des théâtres par ce qu’elle a pu produire pendant la première révolution.

Le principe de l’autorité a pu, lui, au contraire, produire tous ses fruits ; il a eu sa réalisation la plus complète dans un système où pas un détail n’a été omis. Dans ce système, aucun spectacle ne pouvait s’ouvrir sans autorisation. On avait été jusqu’à spécifier le nombre de personnages qui pouvaient paraître en scène dans chaque théâtre, jusqu’à interdire aux uns de chanter, aux autres de parler ; jusqu’à régler, en de certains cas, le costume et même le geste ; jusqu’à introduire dans les fantaisies de la scène je ne sais quelle rigueur hiérarchique.

Le principe de l’autorité, réalisé si complétement, qu’a-t-il produit ? On va me parler de Louis XIV et de son grand règne. Louis XIV a porté le principe de l’autorité, sous toutes ses formes, à son plus haut degré de splendeur. Je n’ai à parler ici que du théâtre. Eh bien ! le théâtre du dix-septième siècle eût été plus grand sans la pression