Page:Hugo - Actes et paroles - volume 1.djvu/221

Cette page a été validée par deux contributeurs.
211
SECOURS AUX THÉÂTRES

C’est à ce point de vue unique d’une grande et évidente utilité politique et immédiate, que nous avons l’honneur de vous proposer l’adoption de la mesure.

Les théâtres de Paris sont peut-être les rouages principaux de ce mécanisme compliqué qui met en mouvement le luxe de la capitale et les innombrables industries que ce luxe engendre et alimente ; mécanisme immense et délicat, que les bons gouvernements entretiennent avec soin, qui ne s’arrête jamais sans que la misère naisse à l’instant même, et qui, s’il venait jamais à se briser, marquerait l’heure fatale où les révolutions sociales succèdent aux révolutions politiques.

Les théâtres de Paris, messieurs, donnent une notable impulsion à l’industrie parisienne, qui, à son tour, communique la vie à l’industrie des départements. Toutes les branches du commerce reçoivent quelque chose du théâtre. Les théâtres de Paris font vivre directement dix mille familles, trente ou quarante métiers divers, occupant chacun des centaines d’ouvriers, et versent annuellement dans la circulation une somme qui, d’après des chiffres incontestables, ne peut guère être évaluée à moins de vingt ou trente millions.

La clôture des théâtres de Paris est donc une véritable catastrophe commerciale qui a toutes les proportions d’une calamité publique. Les faire vivre, c’est vivifier toute la capitale. Vous avez accordé, il y a peu de jours, cinq millions à l’industrie du bâtiment ; accorder aujourd’hui un subside aux théâtres, c’est appliquer le même principe, c’est pourvoir aux mêmes nécessités politiques. Si vous refusiez aujourd’hui ces six cent mille francs à une industrie utile, vous auriez dans un mois plusieurs millions à ajouter à vos aumônes.

D’autres considérations font encore ressortir l’importance politique de la mesure qui rouvrirait nos théâtres. À une époque comme la nôtre, où les esprits se laissent entraîner, dans cette espèce de lassitude et de désœuvrement qui suit les révolutions, à toutes les émotions, et quelquefois à toutes les violences de la fièvre politique, les représentations dramatiques sont une distraction souhaitable, et peuvent être une heureuse et puissante diversion. L’expérience a prouvé que, pour le peuple parisien en particulier, il faut le dire à la louange de ce peuple si intelligent, le théâtre est un calmant efficace et souverain.

Ce peuple, pareil à tant d’égards au peuple athénien, se tourne toujours volontiers, même dans les jours d’agitation, vers les joies de l’intelligence et de l’esprit. Peu d’attroupements résistent à un théâtre ouvert ; aucun attroupement ne résisterait à un spectacle gratis.

L’utilité politique de la mesure de la subvention aux théâtres est