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SÉANCE DES CINQ ASSOCIATIONS.

Les uns veulent faire de la société humaine une immense famille.

Les autres veulent en faire un immense monastère.

Je suis contre le monastère et pour la famille. (Mouvement. Applaudissements.)

Il ne suffit pas que les hommes soient associés, il faut encore qu’ils soient sociables.

J’ai lu les écrits de quelques socialistes célèbres, et j’ai été surpris de voir que nous avions, au dix-neuvième siècle, en France, tant de fondateurs de couvents. (On rit.)

Mais, ce que je n’aurais jamais cru ni rêvé, c’est que ces fondateurs de couvents eussent la prétention d’être populaires.

Je n’accorde pas que ce soit un progrès pour un homme de devenir un moine, et je trouve étrange qu’après un demi-siècle de révolutions faites contre les idées monastiques et féodales, nous y revenions tout doucement, avec les interprétations du mot association. (Très bien !) Oui, l’association, telle que je la vois expliquée dans les écrits accrédités de certains socialistes, — moi écrivain un peu bénédictin, qui ai feuilleté le moyen âge, je la connais ; elle existait à Cluny, à Cîteaux, elle existe à la Trappe. Voulez-vous en venir là ? Regardez-vous comme le dernier mot des sociétés humaines le monastère de l’abbé de Rancé ? Ah ! c’est un spectacle admirable ! Rien au monde n’est plus beau ; c’est l’abnégation à la plus haute puissance, ces hommes ne faisant rien pour eux-mêmes, faisant tout pour le prochain, mieux encore, faisant tout pour Dieu ! Je ne sache rien de plus beau. Je ne sache rien de moins humain. (Sensation.) Si vous voulez trancher de cette manière héroïque les questions humaines, soyez sûrs que vous n’atteindrez pas votre but. Quoique cela soit beau, je crois que cela est mauvais. Oui, une chose peut à la fois être belle et mauvaise ! et je vous invite, vous tous penseurs, à réfléchir sur ce point. Les meilleurs esprits, les plus sages en apparence, peuvent se tromper, et, voyant une chose belle, dire : elle est bonne. Eh bien ! non, le couvent, qui est beau, n’est pas bon ! non, la vie monastique, qui est sublime, n’est pas applicable ! Il ne faut pas