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LA DÉFENSE DU LITTORAL.

Ici, messieurs, je réclame beaucoup d’attention et un peu de bienveillance, car j’entreprends une chose très difficile ; j’entreprends d’expliquer à la chambre en peu de mots, et en le dépouillant des termes techniques, un phénomène à l’explication duquel la science dépense des volumes. Je serai court et je tâcherai d’être clair.

Vous connaissez tous plus ou moins vaguement la situation grave du Havre ; vous rendez-vous tous bien compte du phénomène qui produit cette situation, et de ce qu’est cette situation ? Je vais tâcher de le faire comprendre à la chambre.

Les courants de la Manche s’appuient sur la grande falaise de Normandie, la battent, la minent, la dégradent perpétuellement ; cette colossale démolition tombe dans le flot, le flot s’en empare et l’emporte ; le courant de l’Océan longe la côte en charriant cette énorme quantité de matières, toute la ruine de la falaise ; chemin faisant, il rencontre le Tréport, Saint-Valery-en-Caux, Fécamp, Dieppe, Étretat, tous vos ports de la Manche, grands et petits, il les encombre et passe outre. Arrivé au cap de la Hève, le courant rencontre, quoi ? la Seine qui débouche dans la mer. Voilà deux forces en présence, le fleuve qui descend, la mer qui passe et qui monte.

Comment ces deux forces vont-elles se comporter ? Une lutte s’engage ; la première chose que font ces deux courants qui luttent, c’est de déposer les fardeaux qu’ils apportent ; le fleuve dépose ses alluvions, le courant dépose les ruines de la côte. Ce dépôt se fait, où ? Précisément à l’endroit où la providence a placé le Havre-de-Grâce.

Ce phénomène a depuis longtemps éveillé la sollicitude des divers gouvernements qui se sont succédé en France. En 1784 un sondage a été ordonné, et exécuté par l’ingénieur Degaule. Cinquante ans plus tard, en 1834, un autre sondage a été exécuté par les ingénieurs de l’état. Les cartes spéciales de ces deux sondages existent, on peut les confronter. Voici ce que ces deux cartes démontrent. (Attention marquée.)

À l’endroit précis où les deux courants se rencontrent, devant le Havre même, sous cette mer qui ne dit rien au