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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

PRÊTRE-PIERRE, souriant

Il faut aimer. Voyons, qui choisis-tu ?

ALBOS.

Il faut aimer. Voyons, qui choisis-tu ? Vous, père.
Soyez mon seul amour, ô vous que je révère !
Toujours, en toute chose, ô père austère et doux,
Je commence par vous.

KIELBO, aux autres jeunes filles.

Je commence par vous. Il finira par nous.

ALBOS.

Laissez-moi devant vous verser mon cœur, ô père !
C’est par vous que je crois, c’est pour vous que j’espère.
Vous êtes pour moi vie, amour et vérité.
Vous m’avez élevé, vous m’avez abrité,
Mon père étant absent, et ma mère étant morte.
C’est pourquoi maintenant que ma jeunesse est forte,
Devant vous, qui pensiez quand je n’étais pas né,
J’ai pour gloire d’être humble et d’être prosterné.
Sous la charge des ans votre marche est moins sûre ;
Votre prunelle voit moins la terre à mesure
Qu’elle voit mieux le ciel et le grand Dieu clément
Dont l’approche déjà vous blanchit vaguement.
L’arbre vous sait évêque, et l’ombre en vous devine
Une émanation de majesté divine,
Et par tous ces grands monts vous êtes admiré,
Car telle est la beauté de votre âge sacré !
Oh ! j’atteste le blé que coupe ma faucille,
Les vagues, quand ma barque entre leurs chocs vacille,
Les nids, les fleurs, les champs, les bœufs liés aux bâts,
L’épervier que d’un coup de ma fronde j’abats,
Ces pics que des blancheurs éternelles recouvrent,
Les profonds yeux du ciel qui sur nous la nuit s’ouvrent,
Que nul n’offensera mon aïeul, moi vivant !
Votre front semble un feu qui nous mène en avant.
La sagesse au dedans, dehors est la lumière.
Hélas ! vos pieds n’ont plus leur fermeté première,
L’âge me fortifie et vous appesantit ;