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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

figureront dans Toute la lyre ; et c’est de 1855 que datent les chansons de Margot, de Suzette et Suzon, et des accortes grisettes qui consolent nos étudiants Tituti, Frévent, etc., de leurs jours sans pain.

Victor Hugo accumule ainsi scènes sur scènes, chansons sur chansons, fragments de comédies légères et souriantes, mais sans les développer ; il a forgé quantité d’anneaux, avec la pensée d’en faire plusieurs chaînes.

Il y a là un travail préparatoire considérable qui prouve que le Victor Hugo du Théâtre en liberté s’affirmait dès 1838. Le poète s’entraînait dans ce genre nouveau pour lui jusqu’en 1858 pendant les heures de loisirs, ou de repos momentané, et il se donnait à lui-même le spectacle de divertissantes marionnettes.


En 1865, il commence la petite comédie, Margarita, et il écrit la Grand’mère, qu’il appelle tout d’abord la Margrave. Il n’a pas alors trouvé son titre de Théâtre en liberté, car en 1866, sur la couverture de son roman les Travailleurs de la mer, on lisait :

M. Victor Hugo fera paraître prochainement :
TORQUEMADA
drame en cinq actes.
MARGARITA
comédie en un acte.
LA GRAND’MÈRE
comédie en un acte.

Victor Hugo a bien songé à Torquemada en 1866, mais il n’en a pas écrit un seul vers. Il a, en revanche, constitué tout un dossier de comédies, qu’il note, dans ses carnets, sur la liste de ses œuvres en préparation, et il ajoute ce mot : important. Ce sont des scénarios, des ébauches, des scènes, des titres de comédies. Les sujets de pièces ont foisonné, et il les porte évidemment dans son esprit, car il mentionne le titre, l’endroit où l’action se passe, les noms des personnages, et parfois il donne quelques lignes d’esquisse. C’est à la fin de 1866 qu’il choisit le titre de Théâtre en liberté et qu’il amorce le volume dans un projet de préface qu’on a lu plus haut. Il n’est question que de « courtes pièces », et deux seulement sont signalées comme pouvant être jouées : la Grand’mère et Margarita. Mais ce n’est encore qu’un projet, car, suivant son habitude, il modifie sans cesse son œuvre, la transforme, la bouleverse, l’émonde ou la complète au fur et à mesure qu’il crée.


Au début de l’année 1867, Victor Hugo écrit sa pièce Mangeront-ils ? Il lit en famille plusieurs scènes le 25 février, et il termine sa comédie le 27 avril. Il semble bien qu’il songe à ce moment à introduire Torquemada dans son Théâtre en liberté, quoiqu’il ne l’ait pas encore commencé ; mais il paraît hésiter à publier un volume de théâtre. Trouve-t-il le moment inopportun ? Redoute-t-il que ce théâtre nouveau genre soit attaqué ?

À cette date de fin avril, son fils François-Victor, au courant de ses incertitudes, lui écrit : « Je ne puis partager ton inquiétude. Un volume considérable, renfermant deux drames et deux comédies, n’a pas besoin d’être défendu quand il est signé de toi. Tu n’as pas fait de théâtre depuis les Burgraves, et je suis sûr que cette explosion de quatre œuvres dramatiques aurait un succès énorme. Le théâtre a, comme le roman, un intérêt d’action que n’a pas la poésie lyrique ; et Torquemada sera certainement plus compris des masses que n’ont été les Chansons des rues et des bois. Donc c’est notre avis, à Charles et à moi, écris Torquemada, publie-le avec les trois autres pièces, et ne te préoccupe pas du reste. »

Cette lettre place donc, en quelque sorte, Torquemada dans le Théâtre en li-