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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Est-ce moi qui redois, ou bien me paiera-t-on ?
Faut-il tendre l’échine, ou saisir mon bâton ?
Suis-je l’accusateur ou suis-je le coupable ?
Mon devoir est obscur, mon droit est impalpable.
Bah ! le ciel croulerait sans que j’en sois ému.
Suis-je bon ? Non. Méchant ? Point. Je n’ai pas même eu
L’esprit d’être une franche et joyeuse canaille.
Je suis. Je ne ris pas, je ne mords pas ; je bâille.
Comme on est bête ! on croit que la femme et la fleur
Existent, que l’amour nous rend plus doux, meilleur,
Plus fort, et lorsqu’on fait, après tous ces mensonges,
La culbute du haut du pégase des songes,
Tout ce qu’on a voulu, tout ce qu’on a rêvé
Sert à vous fendre mieux le front sur le pavé !
Avril trahit. On est la dupe monotone
D’un printemps qui toujours prémédite l’automne.
Vivre, c’est respirer je ne sais quoi d’épais,
De fade et de glacé. Donc, fiche-moi la paix.
Je sais tes arguments par cœur. Je les rédige
D’avance en t’écoutant. Je n’ai plus rien, te dis-je,
Rien en face de moi, rien au dedans de moi
Que la nuit, le néant d’un gueux, l’orgueil d’un roi,
Que mes espoirs déçus, pourpre déguenillée,
Que la faillite, hélas, d’une âme gaspillée.
Tu prêches comme un moine au confessionnal.
Pour un spectre, mon cher, je te trouve banal.
La minute qui passe est un poids qui m’assomme.
J’aurais dit : non ! à Dieu, si Dieu m’eût fait grand homme.
Etre grand, me donner toutes ces peines-là,
Pour être célébré sur l’air de Larifla,
Pour être de chansons assourdi dans ma bière,
Pour qu’on me sculpte en pipe ou bien en pot de bière,
Pour qu’on orne de moi les foulards de Lyon !

L’œil fixé sur le portrait de sa maîtresse.

Si j’étais Dieu le père ou bien Pygmalion
Et que j’eusse pétri dans de la terre glaise
Une fille ayant l’air d’une vignette anglaise,
À grands coups de marteau j’irais dessus frappant,
Car en brisant la femme on détruit le serpent.

À l’homme.

Je suis un mécontent, ami, je te l’avoue.
L’homme est un peu de feu chauffant un peu de boue ;
Esprit, je m’évapore, et je rampe, animal ;