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MAGLIA.


VIII

Serais-je mécontent ? Moi mécontent, non pas !
Parlant à ma personne, ici je me déclare
Que je suis jeune, beau, charmant, illustre et rare,
Superbe et triomphant dans mes ambitions !

Presque tous les ennuis, les désillusions,
Qui rendent le cœur triste et l’existence blême,
Résultent des aveux qu’on se fait à soi-même.
On se dit : je suis vieux. C’est fini, l’on est vieux ;
La patte d’oie éclôt en gerbe au coin des yeux,
Et puis les cheveux gris poussent que c’est merveille !
On s’endort en disant : je suis bête ! On s’éveille
Stupide. On dit, rêveur et sans savoir pourquoi :
Je crois qu’en général on se moque de moi !
C’est bon, on ne voit plus qu’amis raillant vos fautes,
Que gens pouffant de rire et se tenant les côtes ;
Un enfant au maillot vous laisse convaincu
Qu’il s’est gaussé de vous. On croit être cocu ?
Votre femme à l’instant vous taille l’uniforme.
On croit être bossu ? Gageons qu’un dôme énorme
Vous pousse en moins d’un an au beau milieu du dos.
On se dit un beau soir en tirant ses rideaux :
Je suis malade. On a la fièvre tout de suite.
On dit : je suis dévot ! C’est fait, on est jésuite.
On s’écrie un jour : bah ! je n’aime plus Suzon,
Ou Margot. On se sent dans le cœur un glaçon,
Et l’on tombe en trois jours dans la mélancolie
D’un chien qui n’aime plus personne et qu’on oublie.
Du froid qu’on croit avoir on est toujours transi ;
La force, c’est la foi. Morale de ceci :
L’homme sur cette terre, humble boule aplatie,
Joue avec la Fortune une rude partie ;
Cachons nos cartes. Perte ou gain, tenons-nous bien.
Même avec mauvais jeu, ne convenons de rien.
Rien n’est plus maladroit, dans ce monde de peines,
Que ces consentements aux misères humaines.
Le mal que nous rêvons nous épie en effet,
Et tout ce qu’on se dit, le diable nous le fait.