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MAGLIA.


IV

La vie, ô gentilhomme, est une comédie
Étrange, amère, gaie, effroyable, hardie,
Taillée au vieux patron des pièces du vieux temps,
Avec des spadassins, avec des capitans.
La morale en est sombre et cependant fort saine.
Tout s’y tient. La vertu, dès la première scène,
Tombe dans une trappe, et la richesse en sort ;
Chacun pousse son cri pour se plaindre du sort ;
Le savant brait, le roi rugit, le manant beugle ;
Le mariage est borgne et l’amour est aveugle,
La justice est boiteuse et l’honneur est manchot ;
L’enfer, dont on voit luire en un coin le réchaud,
Qui jette au front du riche un reflet écarlate,
De toutes les vertus a fait des culs-de-jatte ;
Le bravo guette un duel, l’amoureux un duo ;
L’eunuque, — c’est l’envie, — enrage, crie : « Ah ! oh ! »
Et jette à tout sultan des regards effroyables ;
Toutes les passions, qui sont autant de diables,
Ont leur rôle, tantôt dolent, tantôt pompeux.
C’est beau ! Figure-toi la pièce, si tu peux ;
Elle a le cœur humain pour scène, et pour parterre
Elle a le genre humain.

Elle a le genre humain. À la fin du mystère,
Le rideau tombe. On siffle. — Absurde ! tout est mal !
On demande l’auteur et l’acteur principal.
Le riche veut ravoir son argent. Cris, tapage.
— L’auteur ! l’auteur ! nommez l’auteur ! à bas l’ouvrage !…
Alors, apparaissant devant la rampe en feu,
Satan fait trois saluts, et dit : « L’auteur, c’est Dieu. »


Note du manuscrit : Dicté le 2 décembre 1842.