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THEATRE EN LIBERTE.


II

Pardieu ! depuis trente ans je feuillette et tourmente
D’une nocturne main les exemplaires grecs ;
J’apprends par cœur les grands, je relis les corrects,
Je les fouille et les pille et prends note sur note ;
Je vide en mon esprit les poches d’Aristote ;
Au bois du Pinde, où j’erre armé d’un gros bâton,
J’ai retourné vingt fois le gousset de Platon ;
Je fréquente Solon, Cratès et Pythagore ;
Je vais souvent la nuit cueillir la mandragore
Sous le gibet, où pend le voleur endormi ;
Eh bien ! toujours, partout, j’ai trouvé, mon ami,
Ceci comme le fond de toutes les sagesses :
Celui que le destin comble de ses largesses,
Pour qui sont faits les prés, les vallons, les ruisseaux,
Et les pourpres du soir et le chant des oiseaux ;
Celui qui rit au nez des rhéteurs du Portique,
Celui dont Jupiter n’est que le domestique,
Celui qui n’a jamais de trous à son manteau,
Qui passe en souriant à côté d’Alecto,
Les yeux pleins de lumière et le front dans les nues ;
Celui qui voit danser les muses toutes nues ;
Le sage, le vainqueur, et le juste, et l’heureux,
Le satrape, le roi, — c’est un homme amoureux !