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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.
Désignant derrière lui la partie du taillis où se sont enfoncés
les archers et la suite du roi.

Ma personnalité pourrait être empêtrée
Dans ce bois. Trop d’archers. L’asile est un répit.
Je m’y fourre.

Je m’y fourre. Il enjambe le parapet.

Je m’y fourre. C’est fait.

Je m’y fourre. C’est fait. Ôtant son bonnet devant la statue.

Je m’y fourre. C’est fait. Salut, saint décrépit !

Il traverse le cimetière et sort par les arches du cloître sans être aperçu
du roi ni de Mess Tityrus.
LE ROI.

Les rois n’existent pas tant qu’on a des asiles !
À quoi bon être lord de la mer et des îles ?
Quoi ! moi, le maître, à qui tous disent : j’obéis !
Moi, qui descends des dieux et des loups du pays,
Moi, qui de mes créneaux couvre toute la côte,
Moi, roi de Man, ayant justice basse et haute,
Moi, que la guerre emplit de son souffle fougueux,
Parce qu’il a passé par la tête d’un gueux
De marmotter jadis du latin sur ces pierres,
Parce qu’un moine infect, en baissant les paupières,
Un goupillon au poing, a craché son credo
Sur ce mur aspergé de quelques gouttes d’eau,
Parce que le passant, sorte de brute, épèle
L’absurde mot Refuge au front de la chapelle,
Quoique je sois le roi, quoique je sois jaloux,
Quoique j’aie un donjon, des carcans et des clous,

Montrant la forêt derrière lui.

Quoique mes gens soient là tenant leurs armes prêtes,
Me voilà condamné, moi, l’homme que les bêtes
Et les dragons des bois craindraient d’avoir contre eux,
À laisser devant moi s’aimer deux amoureux !
Quoi ! mon pas fait trembler jusqu’aux morts sous leurs marbres,
Quoi ! j’ai tant accroché de squelettes aux arbres
Que la lune hideuse a peur au fond des bois,
Et mes gibets sont tous vaincus par cette croix !

Il montre la croix sur la chapelle.

Je suis un tout-puissant frémissant d’impuissance !
Ma cousine Janet, avec son innocence,
Et mon cousin Slada, grand garçon pâle et doux,
Allons, becquetez-vous ! c’est bien, adorez-vous !