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Scène IV.

LA REINE, SIMON RENARD, JANE, cachée.
LA REINE.

Ah ! le changement vous étonne ! Ah ! je ne me ressemble plus à moi-même ! Eh bien ! qu’est-ce que cela me fait ? c’est comme cela. Maintenant, je ne veux plus qu’il meure !

SIMON RENARD.

Votre Majesté avait pourtant arrêté hier que l’exécution aurait lieu aujourd’hui.

LA REINE.

Comme j’avais arrêté avant-hier que l’exécution aurait lieu hier ; comme j’avais arrête dimanche que l’exécution aurait lieu lundi. Aujourd’hui j’arrête que l’exécution aura lieu demain.

SIMON RENARD.

En effet, depuis le deuxième dimanche de l’avent que l’arrêt de la chambre étoilée a été prononcé, et que les deux condamnés sont revenus à la Tour, précédés du bourreau, la hache tournée vers leur visage, il y a trois semaines de cela, votre majesté remet chaque jour la chose au lendemain.

LA REINE.

Eh bien ! est-ce que vous ne comprenez pas ce que cela signifie, monsieur ? est-ce qu’il faut tout vous dire, et qu’une femme mette son cœur à nu devant vous, parce qu’elle est reine, la malheureuse, et que vous représentez ici le prince d’Espagne, mon futur mari ? Mon Dieu, monsieur, vous ne savez pas cela, vous autres, chez une femme le cœur a sa pudeur comme le corps. Eh bien, oui, puisque vous voulez le savoir, puisque vous faites semblant de ne rien comprendre, oui, je remets tous les jours l’exécution de Fabiani au lendemain, parce que chaque matin, voyez-vous, la force me manque à l’idée que la cloche de la Tour de Londres va sonner la mort de cet homme, parce que je me sens défaillir à la pensée qu’on aiguise une hache pour cet homme, parce que je me sens mourir de songer qu’on va clouer une bière pour cet homme, parce que je suis femme, parce que je suis faible, parce que je suis folle, parce que j’aime cet homme, pardieu ! En avez-vous assez ? êtes-vous satisfait ? comprenez-vous ? Oh ! je trouverai moyen de me venger un jour sur vous de tout ce que vous me faites dire, allez !