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femme et renie l’autre ! Infâme ! certainement tu es bien infâme ! Comment ! depuis que je parle il n’est pas encore à genoux ! À genoux, Fabiani ! Mylords, mettez cet homme de force à genoux !

FABIANI.

Votre majesté…

LA REINE.

Ce misérable, que j’ai comblé de bienfaits ! ce laquais napolitain, que j’ai fait chevalier doré et comte libre d’Angleterre ! Ah ! je devais m’attendre à ce qui arrive ! On m’avait bien dit que cela finirait ainsi. Mais je suis toujours comme cela, je m’obstine, et je vois ensuite que j’ai eu tort. C’est ma faute. Italien, cela veut dire fourbe ! Napolitain, cela veut dire lâche ! Toutes les fois que mon père s’est servi d’un italien, il s’en est repenti. Ce Fabiani ! Tu vois, lady Jane, à quel homme tu t’es livrée, malheureuse enfant ! — Je te vengerai, va ! — Oh ! je devais le savoir d’avance, on ne peut tirer autre chose de la poche d’un italien qu’un stylet, et de l’âme d’un italien que la trahison !

FABIANI.

Madame, je vous jure…

LA REINE.

Il va se parjurer, à présent ! il sera vil jusqu’à la fin, il nous fera rougir jusqu’au bout devant ces hommes, nous autres faibles femmes qui l’avons aimé ! il ne relèvera seulement pas la tête !

FABIANI.

Si, madame ! je la relèverai. Je suis perdu, je le vois bien. Ma mort est décidée. Vous emploierez tous les moyens, le poignard, le poison…

LA REINE, lui prenant les mains et l’attirant vivement sur le devant du théâtre.

Le poison ! le poignard ! que dis-tu là, italien ? la vengeance traître, la vengeance honteuse, la vengeance par derrière, la vengeance comme dans ton pays ! Non, signor Fabiani, ni poignard, ni poison. Est-ce que j’ai à me cacher, moi ? à chercher le coin des rues la nuit, et à me faire petite quand je me venge ? Non, pardieu ! je veux le grand jour, entends-tu, mylord ? le plein midi, le beau soleil, la place publique, la hache et le billot, la foule dans la rue, la foule aux fenêtres, la foule sur les toits, cent mille témoins ! Je veux qu’on ait peur, entends-tu, mylord ! qu’on trouve cela splendide, effroyable et magnifique, et qu’on dise : C’est une femme qui a été outragée, mais c’est une reine qui se venge ! Ce favori si envié, ce beau jeune homme insolent que j’ai couvert de velours et de satin, je veux le voir plié en deux, effaré et tremblant, à genoux sur un drap noir, pieds nus, mains liées, hué par le peuple, manié par le bourreau. Ce cou blanc où j’avais mis un collier