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témoignages que ce fut encore cette fois la victoire. Le premier acte fut écouté avec intérêt. Au second acte, « l’apparition de Mlle Georges fut un éblouissement. À demi couchée sur un lit de repos, en robe de velours écarlate, couronnée de diamants, sa beauté était vraiment royale. L’insulte à Fabiani fut dite par elle avec une vérité ample et une familiarité superbe. Tout alla bien jusqu’à l’entrée du bourreau qui fut le signal des sifflets. Toute la troisième partie, surtout la scène de Gilbert et de Jane, excita des ricanements continuels » [1]. Le dernier acte releva la pièce ; la scène entre les deux femmes eut son effet d’émotion profonde, bien que le jeu de Mlle Juliette, troublée sans doute par l’hostilité d’une partie de la salle, donnât quelque peu raison à Mlle Georges. Le nom de Victor Hugo fut, pour la première fois, accueilli par quelques sifflets, mais qui furent écrasés par les applaudissements. C’était un succès. Un témoignage dont on ne peut récuser la sincérité est celui de Sainte-Beuve écrivant, le lendemain, à Victor Pavie : « La pièce de Hugo a réußi, avec un orage dû à Juliette, à Dumas, à Bocage, à toutes les intrigues du drame et des coulisses. Juliette a si mal joué que nous avons décidé Hugo à lui retirer le rôle. »

En effet, sur les instances de tous ceux qui venaient de combattre et de vaincre pour lui, Victor Hugo, non sans chagrin et sans colère, finit par consentir à ce que Juliette, sous le couvert d’une indisposition de commande, fût désormais remplacée. À la seconde représentation, qui fut retardée d’un jour, le rôle de Jane fut joué avec force et avec grâce par Mlle Ida.

La presse fut généralement hostile à Marie Tudor. « Qui sait, dit l’article de Gustave Planche, si dans huit jours Marie Tudor comptera cinq cents spectateurs. » La pièce n’en eut pas moins quarante bonnes représentations d’affilée. Elle resta au répertoire et eut en tout au théâtre de la Porte-Saint-Martin 83 représentations qui produisirent 142,925 fr. 45, chiffre plus qu’honorable pour l’époque.

En janvier 1844, Marie Tudor eut à l’Odéon une reprise de vingt représentations, rehaussée de cet attrait : Mlle Dorval, à côté de Mlle Georges, remplissait le rôle de Jane ! Se figure-t-on l’effet puissant que produisait, dans la grande scène finale, le jeu des deux sublimes actrices !

En 1871, le théâtre de la Porte-Saint-Martin avait été incendié, pendant la Commune, par un obus des Versaillais. Dès 1873, il était reconstruit, et les directeurs, MM. Ritt et Larochelle, tinrent à honneur de n’inaugurer la nouvelle scène que par une œuvre de celui qui avait été la plus grande gloire de l’ancienne. Ils demandèrent à Victor Hugo, et Victor Hugo leur accorda, d’ouvrir leur théâtre par une reprise du Roi s’amuse. Par malheur, la paix civile n’était pas encore revenue, Paris était toujours en état de siège, et la dictature militaire du général Ladmirault régissait jusqu’aux théâtres. Un aide de camp du général, M. de Cossé, lui représenta que le drame le Roi s’amuse était obscène et impie, que la royauté y était traînée dans la boue, la noblesse vilipendée, et l’un de ses ancêtres, M. de Cossé, tourné en ridicule. Là-dessus, le Roi s’amuse fut interdit sous la république comme il l’avait été sous la monarchie, et, malgré toutes les protestations, l’interdiction fut maintenue. Les directeurs obtinrent alors de Victor Hugo de substituer, au Roi s’amuse, Marie Tudor.

Marie Tudor fut reprise le 27 septembre 1873 et, bien que dans ces jours troublés, fit encore une assez belle carrière. Elle eut 52 représentations qui produisirent

  1. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.