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mener parce qu’il pleuvait. — Oh ! Gilbert, je t’aime, vois-tu. Je te trouve beau, tu es si noble ! Tous les hommes ne sont rien devant toi, tu ne te doutes pas de cela, toi. Mon Dieu ! que je t’aime ! Tu ne me crois peut-être pas. Je t’ai trompé une fois. Je t’ai tant offensé. C’est pourtant bien sincère ce que je te dis. Oh ! réponds ! est-ce que tu me crois encore un peu ? Oh ! des paroles, des paroles, cela n’est rien, Gilbert, je voudrais qu’on pût s’ouvrir une porte sur le cœur et dire à l’homme qu’on aime : Regarde ! Il y aurait tant de choses à te dire dans ma position, que je sens et que je ne puis exprimer. Il n’y a pas moyen de te faire comprendre à quel point tu es tout pour moi, à quel point je suis confuse, repentante et à genoux devant toi ! Je voudrais que le son de ma voix fût une caresse qui te rendît heureux. — Oh ! tu ne mourras pas ! nous nous sauverons ensemble ! tu es à moi ! nous nous aimons ! Qui m’eût dit cela ce matin ? Quel changement ! — Mon Dieu ! je suis folle, n’est-ce pas ? Gilbert, je me méprise et je me hais tant, qu’il me semble impossible que tu m’estimes et que tu m’aimes. Tu ne sais pas comme j’ai été malheureuse ! — Donne-moi ta main. Je t’aime ! je t’aime ! Regarde mes yeux, ils disent que je t’aime. Regarde mes larmes, elles disent que je suis heureuse ! — Oh ! encourage-moi à te parler ainsi. C’est mon cœur qui s’ouvre, le cœur de la pauvre fille perdue. J’avais des ailes comme toi autrefois. Je n’en ai plus. Comment se fait-il que tu veuilles encore de moi ? Comment se fait-il que tu tiennes encore à mon amour ? Est-ce que c’est vrai que tu y tiens, dis ? Ce n’est pas par pitié seulement que tu dis cela ? Bien sûr, tu m’aimes ? Tu m’aimes ! Dieu m’est témoin que tu me remplis le cœur de joie. Tu viens du ciel, Gilbert !

GILBERT.

Ô Jane, il n’y a rien à répondre après de telles paroles, dites comme tu les dis ! Le cœur se fond. C’est à croire qu’on va mourir de ravissement. Oh ! que m’importe le passé ? Qui est-ce qui résisterait à ta voix ? qui est-ce qui ferait autrement que moi ? Oh oui ! je te pardonne bien tout, mon enfant bien-aimé !…

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Le manuscrit donne encore cette fin de la scène, supprimée à la représentation :

GILBERT. (Il va à la fenêtre et regarde.)

Le bateau n’est pas là !

JANE.

L’homme qui doit le procurer a demandé une heure, tu sais ?

GILBERT.

Oh ! cette heure est faite avec des années et non avec des minutes ! Je voudrais être dehors ! Je dis que je voudrais être dehors ! Je ne veux plus mourir maintenant. Ces gens qui préparent un échafaud quelque part me font frissonner. Tu m’as rendu lâche en me disant que tu m’aimes.

JANE.

Gilbert ! je mourrais si tu mourais.